Lecteurs, vivants acteurs de la chaîne du livre bien qu’en
principe anonymes destinataires de ce dernier, nous avons, comme très souvent
je le répète, une responsabilité. Et comme aussi l’écrit Virginia Woolf, une
grande importance. « Les critères
que nous posons et les jugements que nous portons [précise-t-elle dans
l’Art du Roman] s’insinuent dans l’air et deviennent partie de
l’atmosphère que respirent les écrivains en travaillant. Une influence est
créée, qui les marque, même si elle ne trouve jamais son expression imprimée.
Et cette influence, si elle est bien préparée, vigoureuse, personnelle,
sincère, pourrait être de grande valeur aujourd’hui, quand la critique se
trouve par la force des choses en suspens, quand les livres défilent comme une
procession d’animaux dans une baraque de tir et que le critique n’a qu’une
seconde pour charger, viser, tirer, bien pardonnable s’il prend un lapin pour
un tigre, un aigle pour une volaille, ou manque son but et perd son coup contre
quelque pacifique vache qui paît dans le champ voisin."
Des critiques qui prennent un lapin pour un tigre, nous n’en
manquons point. Principalement aujourd’hui sur le net. Où une part importante
de la poésie se troque. S’échange. Fait un peu parler d’elle du fait de l’espace
que lui laisse la criante indifférence des medias naturellement préoccupés
d’objets plus rentables. C’est que les dits-lapins sont à l’évidence plus
nombreux que les tigres. Les volailles que les aigles.