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Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
lundi 2 juillet 2018
vendredi 29 juin 2018
CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2018-19 : CARNET SANS BORD DE LILI FRIKH.
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J’ai déjà pu rendre compte dans ce blog de l’intérêt que le livre de Lili Frikh a suscité chez moi. Je suis
persuadé que cet ouvrage qui attire particulièrement l’attention sur la
relation fondamentale qui existe entre la vie et la parole, bien au-delà du
simple fait d’écrire et de trouver, comme on dit, ses mots, est de nature à faire
découvrir aux jeunes à quelles nécessités peut répondre aujourd’hui, comme
toujours, la poésie. Même si, comme ici, elle est prose. Et apparaît sans oripeaux.
mercredi 27 juin 2018
CAHIER D’EXTRAITS PRIX DES DÉCOUVREURS 2018-19 : LETTRES D’UNE ÎLE D’ALEXANDRE BILLON.
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Depuis plusieurs années, nous proposons à l’intention des
jeunes qui auront, grâce à leurs professeurs, la chance, car c’est une chance,
de participer, au Prix des Découvreurs, un Dossier leur permettant dans un
premier temps de découvrir l’ensemble des 7 ouvrages que nous avons choisi de
soumettre à leur curiosité. Richement illustrés et accompagnés de divers liens
et références, ces dossiers visent aussi à aider les professeurs dans leur
action - qui devrait devenir de plus en plus importante - d’accompagnement des élèves en termes de
formation culturelle et artistique. Notre ambition étant ici de placer la
poésie au cœur des arts.
Nous publions aujourd’hui le premier Cahier composant ce
Dossier : il est consacré au beau livre d’Alexandre Billon, Lettres d’une île, publié par p.i.sage intérieur.
mercredi 20 juin 2018
AUTOPORTRAIT AUX SIÈCLES SOUILLÉS DE MICHAEL WASSON. OU QUE SAUVER DE CE QUE, MONSTRE, L’HISTOIRE A ÉCRASÉ.
« Je suis en partie monstre, en partie animal, partie eau, partie
histoire, partie chant, partie farceur, toujours le sang rencontre l’eau &
asperge la terre ».
C’est à partir de ce sentiment de
personnalité éclatée, diffractée - en parties violemment concurrentes ou
contraires - jetée au cœur d’une réalité et d’une histoire cruelles, que le
poète américain Michael Wasson, d’origine Nimíipuu ou Nez-percé, une des plus
vieilles tribus indiennes, qui occupait autrefois les territoires de l’Idaho et
du Montana, a composé cet Autoportrait
aux siècles souillés, que les éditions des Lisières viennent de publier
dans une traduction de Béatrice Machet.
samedi 16 juin 2018
DITES MERCI AUX POÈTES PRÉTENDUMENT ILLISIBLES !
Oui « bien
fou du cerveau » comme dirait La Fontaine qui prétendrait en quelques
lignes, sinon quelques mots, porter sur
le véritable foisonnement des poésies actuelles en France, un jugement complet,
impartial ou définitif. Nous sommes un certain nombre à lire sans esprit de
chapelle, avec un appétit véritable, dans un esprit d’accueil et de
découvertes, quantité d’ouvrages. Dont pour certains nous faisons l’effort tout
aussi véritable, de rendre compte. Sans nous contenter de quelques mots hâtifs
ou mensongers. Et pourtant qui d’entre nous peut se targuer de tout connaître.
Partant de tout pouvoir juger. Personnellement je suis persuadé que si la
poésie, les poésies d’aujourd’hui, ont quelque chose à apporter c’est précisément
par l’exemple qu’elles donnent de ces multiples singularités qui chacune semble
s’être autorisée à advenir comme Sujet,
Sujet à part entière à l’intérieur
d’une langue qui par ses multiples emplois, tend à l’inverse, de plus en plus,
à travers ce qu’on appelle la communication, à nous assujettir aux discours
intéressés de l’autre. Cette « fabrique » du Sujet, chacun en poésie
la tente à sa manière. Plus ou moins juste. Plus ou moins aboutie. Dans son
arbre généalogique. Je veux dire à partir de ce que les hasards de la vie et de
ses propres lectures ainsi que les conditions générales de sa propre
sensibilité, lui permettent d’atteindre. Il en résulte, considérablement
accentué par l’explosion de toutes les libertés que la poésie depuis plus d’un
siècle s’est attachée à conquérir, au point de ne pouvoir plus être
formellement définie par personne, des œuvres ou du moins des ouvrages voire
des prestations, d’une diversité, d’une hétérogénéité telle qu’il ne s’en vit
jamais auparavant dans l’histoire. Et toutes loin de là ne sont pas illisibles.
Et toutes ne sont pas le fait de vieux poètes rancis. Et toutes ne sont pas
nombrilistes. Et toutes ne cherchent pas non plus la vaine gloire de se faire
entendre en ouverture du Journal de TF1. Où elles retomberaient, je pense,
nécessairement sous l’empire de ce qu’elles avaient au départ pour vocation de
fuir.
jeudi 14 juin 2018
TRAJECTOIRE DÉROUTÉE DE SANDA VOÏCA CHEZ LANSKINE.
C’est à sa fille Clara, morte
d’un cancer à l’âge de 20 ans, que la poète d’origine roumaine Sanda Voïca
dédie l’ouvrage que les éditions LansKine viennent de publier d’elle. Trajectoire déroutée, titre on le voit
déjà très parlant, est un livre de deuil. Un livre qui témoigne à sa manière,
poignante assurément, et souvent déstabilisatrice, de la façon dont la perte
d’un enfant, d’un être qui, réellement, est la chair de sa chair,
modifie cruellement pour une mère la courbe de sa vie, déplace son centre de gravité. La
déroute. L’égare. Désorientant en profondeur ses moindres perceptions :
mardi 12 juin 2018
"LA PUISSANCE D'UNE MOUCHE SUR LE PARE-BRISE D'UNE PORSCHE". À LIRE À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE !
Il y a un problème avec le mot poésie : c’est
qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas, ce terme leur confère d’ordinaire une forte
valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en
principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la
poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit
dans le fond jamais.
De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que
vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie
qui s’achève, la Boucherie littéraire,
tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se
rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de
liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la
trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de
jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin
Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage
de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on
peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus
élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle
Sauvage.
lundi 4 juin 2018
D’HANNAH. D’AHAN ! SUR OISEAU-MOI D’ÉDITH AZAM. LANSKINE.
Détail d'une toile du peintre Yves Loubeyre |
« Assise au bord de l’eau » Edith Azam compose à l’intention
d’une qui lui « fait couteau dans le
cœur » et qu’elle appelle Hannah,
une chanson de Mal-aimée qui retrouvant au passage quelques accents apollinariens
secoue par ce qui s’y livre de détresse authentique et d’impuissance à la
savoir dire. Toute nue et entière. Par une succession de poèmes aux vers
généralement courts et saccadés, d’ahan,
elle tente d’arracher son chagrin à sa « langue de terre ». Pour reprendre son vol. Se reconfondre à cette femme-oiseau partie quelque-part bien trop loin, emportant sa
part d’elle. Et ce n’est pas si doux. Et ce n’est pas si tendre, ce
désarmé, désaimé lamento d’amante et de poète à qui l’on a rogné les ailes : ce
presque chant rompu n’élevant vers le ciel qu’un seul mot.
Solitude.
vendredi 1 juin 2018
SUR UN POÈME D’ETIENNE FAURE TIRÉ DE TÊTE EN BAS, GALLIMARD, 2018.
De livre en livre. De poème en
poème. Et dans toutes les postures, comme ici tête en bas, Etienne Faure fore un peu plus tous les bois de la
langue. Jusqu’à s’y éprouver termite. Ou plutôt lucifuges, individu pluriel : ces insectes dévorant ne se
vivant qu’en groupes. Pour s’entregénérer mieux. Cela nous donne une succession
de galeries par lesquelles s’enfoncer en phrases toujours recommencées, dans
les communs affects de la vie et des choses qui passent. Des vies, des choses
ayant saveur de passé. Et d’histoire. La dure friabilité aussi de tout ce qui
depuis longtemps s’est vu creusé puis évidé en nous. La seule consistance
demeurant celle de ces obstinées cheminements ou pour le mieux dire, ces sapes.
Par quoi le petit grand monde versicolore que fait en nous notre existence, chez
lui se réduit lentement mais sûrement, c’est un maître, en sa poudre de mots.
jeudi 31 mai 2018
SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.
Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
lundi 14 mai 2018
SÉLECTION 2018-2019 DU PRIX DES DÉCOUVREURS. UN CHOIX DIFFICILE.
Difficile encore cette année
d’établir de façon définitive notre sélection pour le Prix des Découvreurs
2018-2019. Choisir c’est bien entendu
exclure. Un crève-cœur quand on se voit obligé de renoncer à sélectionner des
textes qui nous sont chers mais qui nous feraient sortir des principaux
impératifs que nous nous sommes fixés et qui avec le temps sont devenus plus
clairs.
D’abord il nous fallait comme
toujours proposer aux jeunes que leurs professeurs feront participer, des
textes témoignant de la profonde diversité des écritures contemporaines. Et du
profond renouvellement tant formel que thématique que ces écritures ont
maintenant depuis longtemps introduit par rapport aux formes toujours mises à
l’honneur au sein de l’institution scolaire.
vendredi 11 mai 2018
DANS LA CHAIR DU POÈME. NI LOIN NI PLUS JAMAIS D’ISABELLE LÉVESQUE.
Lorsque je serai mort depuis plusieurs
années,
Et que dans le brouillard les cabs se
heurteront,
Comme aujourd’hui (les choses n’étant pas
changées)
Puissé-je être une main fraîche sur quelque
front !
Oui. C’est à ce vœu émis, il y a plus d’une
centaine d’années par ce magnifique
poète que fut aussi Larbaud que je ne peux m’empêcher de songer à la lecture du
dernier livre d’Isabelle Lévesque, Ni
loin ni plus jamais, présenté en sous-titre comme une suite pour Jean-Philippe Salabreuil. Belle chose en effet que cette
« main fraîche » passée par
un poète depuis longtemps disparu sur le front d’un poète vivant. Que cette
transsubstantiation qui fait ici que le verbe se fait chair. Et que ce qui
était apparemment mort redevient dans un geste et pour un instant, vie.
Seulement, contrairement à ce qu’imagine l’auteur
des Poésies de A.O. Barnabooth, les
choses ont aujourd’hui bien changé et si les brouillards demeurent - encore que
ceux de Londres qu’il évoque se soient considérablement réduits – les formes
poétiques et les goûts de nos contemporains ont terriblement évolué. Au point
de nous rendre certains textes moins aisément lisibles.
mardi 8 mai 2018
INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.
Pierre oghamique |
Je ne sais si cette attitude est
partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un
poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur,
dans une espèce de « transparence
centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à
l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux
également importent. Et rien de « central »
n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et
créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une
sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il
sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre.
Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une
campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la
bière, d’une ville étrangère.
Non que je désire que le poème me
décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends
que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une
certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée.
Toujours recommencée.
jeudi 29 mars 2018
AMANDINE MAREMBERT, PRIX DES DÉCOUVREURS 2018.
C’est à Né sans un cri, un ouvrage d’Amandine Marembert publié aux éditions des Arêtes, qu’ira le
prix des Découvreurs 2018. J’ai eu déjà l’occasion de dire ici le bien que je
pensais de cet ouvrage qui au-delà de ses grandes qualités littéraires, ce qui
n’est pas toujours le souci premier de la plupart de nos jeunes lecteurs,
témoigne d’une profonde sensibilité à une question à laquelle ces derniers se
montrent généralement plus réceptifs, qui est celle de la différence. De notre
capacité aussi à comprendre, à accueillir l’altérité. De la plus ou moins
grande plasticité intérieure qui nous est nécessaire pour ne pas ériger notre
mode particulier et plus ou moins commun d’être, en absolu.
Amandine Marembert |
Ce sont les poètes, les vrais,
qui parlent le mieux de leurs confrères. Ainsi c’est à Christiane
Veschambre, à la façon dont elle a su me donner envie de la lire, que
je dois de m’être penché avec plus d’attention sur le travail d’Amandine
Marembert. Aussi, rien ne me réjouis donc plus aujourd’hui que la perspective
de voir Amandine et Christiane, rassemblées le vendredi 13 avril à
Boulogne-sur-Mer, la première pour recevoir son Prix, la seconde pour nous
parler avec son compagnon Aimé Agnel, de Paterson,
ce beau film de Jarmusch auquel elle vient de consacrer Ils dorment, un court mais bien émouvant texte, à l’Antichambre du
Préau.
dimanche 25 mars 2018
REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.
Quelle est l’origine profonde de ton livre ?
Qui ne sait qu’en matière d’art,
et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une
poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une
opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé les principaux aboutissants.
Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est
apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de
lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples
sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il
s’est trouvé prendre figure.
En cela ce livre est un livre
vivant.
Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à
tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent
ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la
mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont
comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne
élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur
offrir « quelques fleurs ».
C’est vrai. Mais si le livre se
présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale
et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne,
cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de
Californie, cimetière de Craonnelle … - il se présente de toute évidence beaucoup moins
comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre
que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il
fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la
sauvagerie de la guerre n’avait cruellement
mis un terme à leur espérance légitime de vivre.
Car c’est bien de l’intérieur de
ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui
m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque
chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.
vendredi 16 mars 2018
PAROLE ET BARBARIE. UN HOMME AVEC UNE MOUCHE DANS LA BOUCHE DU POÈTE IRAKIEN ALI THAREB.
On s’étonnera peut-être de voir commencer
une note de lecture portant sur le recueil d’un jeune poète irakien par
l’évocation d’une photographie représentant l’exécution en janvier 43 dans la
ville de Bosanska Krupa, en Bosnie, d’une résistante yougoslave de 17 ans, Lepa
Svetozara Radić, coupable d’avoir tiré sur des soldats allemands.
Cette image sidérante que le
hasard vient de me mettre sous les yeux, interroge puissamment sur notre
capacité à réagir face aux atrocités dont, pour les plus chanceux d’entre nous,
nous ne sommes que les témoins lointains. Et sur la possibilité surtout que
nous avons de leur donner sens par la seule vertu de la parole.
lundi 12 mars 2018
VIE ET MORT D'UN PERSONNAGE. ÉCRIRE, UN CARACTÈRE DE CHRISTIANE VESCHAMBRE AUX ÉDITIONS ISABELLE SAUVAGE.
J’aime et je l’ai dit à de nombreuses reprises tout ce
qu’écrit Christiane Veschambre. J’aime aussi sa personne. Et je ne saurais trop
recommander à ceux qui ne l’auraient pas encore vraiment fait, de prendre le
temps de lire Basse langue, livre qui portant
en apparence sur la lecture, plonge en fait assez douloureusement au coeur de
toute l’expérience intime que peut avoir une femme de ce qui l’a mise au monde
non comme structure close délimitée par un moi connaissable, mais comme puissance
d’accueil, toute nourrie de ses manques et de ses incertitudes profondes.
samedi 10 mars 2018
PRENDRE LE LARGE : CARNET SANS BORD DE LILI FRIKH À LA RUMEUR LIBRE.
«Il faudra que je parle d’écrire… Et que ce
soit parler pas écrire… Que j’avoue… Et j’avoue… Être peu sensible aux formes de l’écrit… Être prise
sans filet dans le mouvement de l’écriture. Cette différence que je sens entre
les deux… Elle m’écarte… Elle me sépare… Elle me fait mal au milieu… Mais les
mots sont sans abri. Ils n’ont pas de domicile fixe. Je les couche sous la
couverture comme des chiens affamés. « Couchez… Allez… Couchez là… Ici…
Non là… Voilà… Pas bouger… »
Mais ils ne restent pas sur le papier. Ils
prennent le large
Écrire est déployé sans forme attachée
Écrire est une langue de grand départ
Aucune ligne d’arrivée
Posted at sea
16 : 27 »
Posted at sea, à différentes heures du jour, la petite
centaine de proses courtes qui composent le Carnet
sans bord que Lili Frikh vient de donner à la rumeur libre, ne cherche pas à consigner l’éphémère et
superficielle matérialité des évènements par lesquels se raconte l’anecdote
plus ou moins pittoresque, plus ou moins idéalisée, bien choisie, de ce qui
fait d’ordinaire à nos yeux l’existence : c’est en profondeur toujours qu’y
creuse la parole, empruntant à la plasticité des vagues, à leur inlassable et
puissant mouvement son exigeante tonicité. Car c’est bien à une intime nécessité que répond d’abord tout
ce livre. Qui affirme et réaffirme la volonté de son auteur de ne pas se
laisser enfermer dans les mots, dans les phrases. Non plus que dans les choses.
Et s’emploie tout entière à s’offrir corps et âme à la vie qui déborde.
jeudi 15 février 2018
DÉCHIRER NOTRE FILET MENTAL. GALERIE MONTAGNAISE DE DIDIER BOURDA.
À quoi se mesure l’importance ou
la nécessité d’une œuvre ? Et d’ailleurs à quoi bon mesurer ?
Étalonner. Classer. Toujours hiérarchiser. Difficile quand même de négliger le
fait qu’il existe des œuvres qui par l’ouverture de l’intelligence sensible qui
préside à leur écriture, excèdent, par la profondeur des questions et l’importance
des éléments qu’elles convoquent, l’attention toute relative que méritent la plupart des
petites combinaisons poético-narcissiques par lesquelles certains parviennent à
faire malgré tout illusion.
Galerie montagnaise, du béarnais Didier Bourda, est justement de
ces livres majeurs qui, sans renoncer en rien à la nécessité de dire ses quatre
vérités à notre triste époque, présente aussi la féroce ambition de redonner à
la poésie quelque chose de la magie profonde, de la nécessité vitale, du lien
originel aussi, qu’au sein de sociétés depuis longtemps disparues, elle
entretenait avec le monde.
dimanche 4 février 2018
UN GRAND POÈME DE LA VILLE. KALA GHODA DE ARUN KOLATKAR (1931-2004)
Je reviens aujourd'hui, suite à diverses rencontres qui m'ont amené à l'évoquer, sur le superbe grand livre sous-titré Poèmes de Bombay, du poète indien disparu en 2004, Arun Kolatkar.
Une gamine, "un
polichinelle dans le tiroir depuis, à vue de nez, sept mois" "cavale comme une
gazelle", un jerrycan à la main à la poursuite de la carriole d'un vendeur de
kérosène. À l'heure du petit déjeuner, un bossu cul de jatte bat, sur son
"skateboard maison" des records de vitesse, "s'envole sur les ralentisseurs"
pour coiffer au poteau un "vieux paralytique en fauteuil roulant fabriqué avec
deux vélos cannibalisés". "Tel un Démosthène frappadingue", un ivrogne qui se
réveille tonne à l'adresse de la ville entière qu'elle n'est qu'un "colossal
tas de merde". "Les doigts funambules" d'un aveugle "tressent un lit de corde"
qui "se tourne et se retourne dans ses bras" comme s'il apprenait à danser.
Tandis qu'un peu plus loin, "tchac-a-boum-tchac-tchac tchac-a-bim-boum-bam"
passe la fanfare des lépreux, le Bombay Lepers'Band. On le voit. C'est une
sorte de Cour des Miracles que met en
scène le poète indien Arun Kolatkar dans ces Poèmes de Bombay que les éditions
Gallimard nous ont fait découvrir grâce au talent de ces deux
traducteurs que sont Pascal Aquien et Laetitia Zecchini. Toutefois cette Cour
des Miracles que constitue la population du quartier de Kala Ghoda que notre
auteur a observé des années durant, de sa table du Wayside Inn qui lui offrait
une vue dégagée sur ce carrefour fréquenté au centre de la métropole indienne,
n'a rien de l'espace sordide, inquiétant, malfaisant que le roman de Victor
Hugo, Notre Dame de Paris, en quête de pittoresque d'époque, a popularisé.
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