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mardi 25 avril 2017

REPRENDRE PIED DANS SA PAROLE. ZONE INONDABLE DE FRANÇOIS HEUSBOURG.

BILL VIOLA LE DELUGE


Oui nous avons besoin de parole. C’est la vie. Et c’est le propre des poètes ou de façon plus générale de ceux qui entretiennent une relation dynamique à la parole que de témoigner de cette nécessité profonde dont chaque jour, pour ma part, je m’émerveille. Ne sommes-nous pas dans tout le vaste univers connu, la seule parmi ces millions et ces millions, ces milliards, peut-être, d’espèces vivantes, la seule à disposer de cette capacité de prolonger notre existence en paroles. Des paroles qui nous survivent. Et que pour les plus abouties d’entre elles et les plus nourrissantes, nous pouvons nous transmettre de générations en générations.

Que la poésie soit une parole avant tout liée à la vie, à cette pression que sur nous elle exerce, j’en trouve encore aujourd’hui comme preuve le petit livre de François Heusbourg que les éditions AEncrages & Co viennent de faire paraître sous le titre de Zone inondable. Comme l’indique le site de l’éditeur, François Heusbourg y aborde « les inondations terribles qui ont eu lieu en octobre 2015 dans le Sud littoral », entraînant la mort de 21 personnes et provoquant dans plus d’une trentaine de communes des dégâts considérables.

C’est en victime lui-même de cette catastrophe que François Heusbourg élabore une parole s’efforçant de rendre compte de cette situation proprement irreprésentable dans laquelle il se trouve dans un premier temps plongé. Bouleversement des repères d’espace et de temps. Tout, le corps, la pensée, les cloisons d’habitudes et les définitions d’ordinaire bien convenues entre les choses, voilà que tout est devenu d’un seul coup différent. Perméable. Et c’est bien comme un moment de sidération que les mots du poème tentent de conjurer, réservant au blanc, le soin d’inonder l’espace de la page où ne surnagent que quelques notations factuelles, des impressions déboussolées, un sentiment particulier d’impuissance et de vulnérabilité de l’être qui finit par n’avoir d’autre issue, après avoir tenté quelques gestes dérisoires, que de se laisser emporter par le flot désarmé du sommeil.

mardi 24 janvier 2017

PUISSANCE DE LA POÉSIE. APOLLINAIRE ET CHARLOTTE DELBO. AUCUN DE NOUS NE REVIENDRA.


Egon Schiele, La Jeune Fille et la Mort


Oui, amis enseignants. Il pourrait être intéressant à l’école, plutôt que de trop chercher à vouloir découvrir ce que peut bien signifier, en soi, tel poème écrit il y a maintenant des siècles, de réfléchir à la nature de l’écho que des lecteurs actuels, en fonction de leur situation propre, peuvent toujours percevoir en lui.

C’est le 30 ou 31 mars 1902, un dimanche donc ou un lundi de Pâques, jour de résurrection, que Guillaume Apollinaire, pénètre pour la première fois dans l’Alter Nördlicher Friedhof de Munich dont les tombes aux allures parfois inattendues semblent surgir d’un flot de mousses et de verdure. De ce qu’il ressent alors, découvrant - à l’intérieur de ce qu’on appelait autrefois l’obituaire, mot disparu remplacé dans notre franglais d’aujourd’hui par l’expression Funeral Home - une troupe impassible de morts, gentiment préparés et bien allongés dans leur bière et qui semblent l’attendre, on n’en saura rien que la fantaisie qu’après quelques vicissitudes, il intégrera à son recueil Alcools, sous le titre de La Maison des morts.

mardi 3 janvier 2017

EN 2017. L’ÉDUCATION ! POUR LA CONSTRUCTION D’UN AVENIR MEILLEUR, DURABLE ET FRATERNEL.

Tout sépare cette allégorie du feu peinte en 1566 par Arcimboldo qui célèbre la puissance guerrière de l’Empereur Maximilien II de Habsbourg, à l’époque en lutte contre Soliman le Magnifique, du tableau qu’à 14 ans, en pleine guerre mondiale, Giacometti intitula La Paix et qu'on peut découvrir à l’Albertina de Vienne.

Que les enfants qui tiennent ici entre leurs mains, non une colombe blanche mais un merle sans doute - ce qui me fait personnellement penser à l’admirable texte de Fabienne Raphoz sur le merle de son jardin (dont on trouvera un extrait page 30 de notre Dossier Découvreurs 2013) - soient ce que nous avons de plus précieux et que l’avenir que nous leur construisons constitue l’interrogation fondamentale qui devrait nous habiter tous, voilà ce qui pour moi ne souffre plus discussion.

vendredi 9 décembre 2016

LITTÉRATURE ENGAGÉE. UN LIVRE À FAIRE TRAVAILLER DANS LES CLASSES !

Cliquer dans l'image pour accéder à nos extraits


« C’est pas l’affaire privée de quelqu’un, écrire. C’est vraiment se lancer dans une affaire universelle. Que ce soit le roman, ou la philosophie. » Ce n’est certes pas le livre d’Alice Ferney, Le Règne du vivant, qui vient d’être réédité en Poche après sa publication en 2014 aux éditions Actes Sud, qui donne tort au propos que Gilles Deleuze aura tenu dans son Abécédaire, confronté à la lettre A de Animal.

Court, prenant, engagé, le livre d’Alice Ferney qui s’insurge contre l’accaparement et la destruction par les humains de l’espace naturel qu’ils se révèlent incapables de partager vraiment avec toutes les autres formes de vie, mérite d’être proposé aux jeunes qu’il est en mesure de sensibiliser à l’usage que nos sociétés dîtes avancées font du monde dont elles s’estiment toujours, pour reprendre l’expression bien connue de Descartes, « comme maîtres et possesseurs ».

lundi 7 novembre 2016

VULNÉRABLE GÉNÉROSITÉ DE LA POÉSIE. STÉPHANE BOUQUET.

EDUARD OLE PASSENGERS 1929

Merci aux éditions Champ Vallon de m’avoir adressé le dernier livre de Stéphane Bouquet, Vie commune. Ceux qui me font l’amitié depuis quelques années de lire les notes que je consacre aux poètes que j’estime savent tout le bien que je pense de l’œuvre de cet auteur auquel j’ai consacré l’un des tous premiers billets de mon précédent blog (Voir).

L’ouvrage aujourd’hui présenté ne fait pour moi que confirmer l’importance du travail de cet auteur. Importance dont me persuadent moins les nombreux arguments que pourraient avancer ma raison raisonnante ou la sorte d’évidence avec laquelle le lisant, ses livres m’apparaissent sortir vraiment du lot commun. Non, si les livres de Stéphane Bouquet comptent tant à mes yeux c’est qu’ils sont au sens fort émouvants. Qu’ils m’émeuvent. Par tout ce qu’ils réussissent à me faire sentir de ce désir poignant qui nous anime d’une présence élargie aux autres et au monde. Sans rien cacher de tout ce qui pourtant fait la vie moindre et fausse. Et solitude.

mercredi 15 juin 2016

BASSE LANGUE DE CHRISTIANE VESCHAMBRE. POUR UNE EXPÉRIENCE VITALE DE LA LECTURE.

Mantegna, Descente dans les limbes

« Occident. 2016. Peut-être qu'une époque se définit moins par ce qu'elle poursuit que par ce qu'elle conjure. La nôtre conjure le dehors. Il ne s'agit plus de combattre ce qui n'est pas nous : il s'agit de le faire nôtre. De le transformer en « nous ». Le sauvage, le naturel, l'inexploré, les opposants, l'étranger, le gratuit : rien ne doit rester en dehors du système. L'hétérogène est endogénéisé, l'altérité s'assimile et se métabolise. Le climat ? Il est climatisé. L'inconnu, quel qu'il soit, se radiographie, se cartographie, il est rendu comptable et compatible. Si quelque chose échappe encore, la lisière du géré, le système allonge ses tentacules pour le raccorder au réseau, qui se veut total. »

Les fans, comme on dit, d’Alain Damasio, auront peut-être reconnu la déclaration par laquelle il débute le petit texte qu’a récemment publié La Volte et titré Le Dehors de toute chose. Et il est vrai que nous avons actuellement tout à redouter de cette civilisation de l’hyper-contrôle que nous favorisons par chacun ou presque de nos comportements, de cet univers du recouvrement où du fait de l’euphorie produite par l’illusion de la toute-puissance que procurent les nouvelles technologies nous laissons s’effacer le sentiment créatif de l’irréductible étrangeté et incomplétude du monde pour en abandonner l’architecture aux insidieux et simplificateurs algorithmes des big data.

samedi 11 juin 2016

SAVOIR REGARDER TOUT LE VIVANT IMMENSE: WILLIAM BARTRAM (1739-1823)

The great Alatchua Savanah, dessin de Bartram
Je redonne aujourd’hui ce billet que j’ai consacré en son temps aux Voyages de William BARTRAM. Ce dernier viendra heureusement s’adjoindre, j’espère, à cette liste de compatriotes de l’ailleurs que nous entreprenons d’élargir autant que faire se peut avec les Découvreurs.

Les débuts d'année traditionnellement voués aux bilans et aux résolutions de tous ordres sont l'occasion pour chacun d'embrasser un temps plus large coloré du regret, certes, de ce que nous aurons, malgré tout, laissé à jamais échapper mais de l'espérance aussi que l'espace que nous croyons ouvert à nouveau devant nous, nous permettra, qui sait, de ressaisir un peu de ce que nous avons perdu.
C'est pourquoi nous voudrions revenir aujourd'hui rapidement sur ce gros livre des Voyages de Bartram, que les éditions Corti, ont publié en février 2013 dans leur magnifique collection Biophilia. Un tel livre de quelques 500 pages, présenté comme une édition naturaliste, ponctué de nombreuses descriptions et de longues listes botaniques a de quoi faire un peu peur.  Mais n'aura heureusement pas empêché les excellentes et nombreuses critiques qui en ont rendu compte  et dont on pourra lire une partie ici.

mardi 31 mai 2016

POUR UN ÉLARGISSEMENT D’ÊTRE. DOSSIER DU PRIX DES DÉCOUVREURS 2016-2017.

Cliquer dans l'image pour ouvrir le dossier
Les extraits que nous proposons avec cette vingtième sélection du Prix des Découvreurs visent d’abord à donner une image significative des livres mis en compétition. 

À travers eux se lira sans difficulté la conception ouverte que nous avons de la poésie et tout ce qu’elle peut aujourd’hui présenter de différent, de nouveau, de singulier par rapport aux conceptions malheureusement trop étroites dans lesquelles on l’enferme traditionnellement.

Apparaîtra aussi, du moins nous l’espérons, outre la grande diversité rendue aujourd’hui possible des écritures, la capacité que possède la poésie actuelle d’interroger le monde sous tous les aspects que nous lui connaissons. Du plus intime au plus collectif. Du plus lointain au plus proche.

Bien entendu, la poésie reste un art du langage. À ce titre, on ne peut la réduire, comme un simple article de journal, à ses significations. Il importera donc toujours de rester attentif à ce qu’on appelait autrefois « la manière », c’est-à-dire ici les choix particuliers d’écriture, plus ou moins singuliers, plus ou moins manifestes, par lesquels chaque auteur se donne en principe, sa voix propre. Proposant du même coup au lecteur d’inventer sa lecture elle aussi singulière.

Nous avons bien conscience encore qu’il n’est pas toujours facile d’entrer dans des formes d’écriture auxquelles on n’est pas préparé. C’est pour cela que plutôt que d’un appareil critique aux explications forcément réductrices nous accompagnons ces extraits d’un certain nombre d’illustrations dont l’objectif n’est pas seulement de rendre ce dossier visuellement attractif. Sans en être le commentaire ou l’illustration l’image peut ici établir une sorte de dialogue avec le texte, soit en en favorisant l’entrée, soit en lui offrant un prolongement possible.

Nous aurons le sentiment d’avoir réussi notre pari si, partant des extraits, chacun éprouvait la curiosité de prolonger sa lecture en allant découvrir les livres en leur totalité. Et y trouvait aussi, pourquoi pas, pour lui, des possibilités inédites d’écriture.

Lire / écrire, à la condition d’accepter de sortir de ses circuits d’habitude, sont une seule et même activité. D’elle nous tirons, c’est une certitude, le plus sûr élargissement d’être. La promesse d’une existence adulte. 

jeudi 12 mai 2016

MIEUX CONNAÎTRE LE PASSÉ POUR COMPRENDRE LE PRÉSENT. RENCONTRE AVEC CLÉMENTINE VIDAL-NAQUET.

Comme le remarque justement le grand historien Lucien Febvre que Clémentine Vidal-Naquet cite en exergue de son livre sur les correspondances de guerre, « prétendre reconstituer la vie affective d’une époque donnée, c’est une tâche à la fois extrêmement séduisante et affreusement difficile » que l’historien toutefois « n’a pas le droit de déserter ».

Mais pourquoi ? Pourquoi toujours aujourd’hui, cet échange de millions et de millions de lettres - on parle de plus d'un million par jour - par lequel les couples que formaient nos arrières grands-parents ont répondu à leur séparation massive, peut-il intéresser des jeunes gens qui dépendent de technologies tellement différentes pour communiquer un quotidien qui n'a apparemment rien à voir avec celui vécu, il y a tout juste un siècle, par leurs lointains ancêtres.

C’est à cette question que la jeune et talentueuse historienne Clémentine Vidal-Naquet est venue répondre, à l’invitation de la Médiathèque de Calais, face à une vingtaine d’étudiants de BTS du lycée Berthelot. Je ne reviendrai pas sur le contenu de la première partie de son intervention que le lecteur pourra s’il le désire retrouver dans la vidéo que nous avons mise en ligne. C. Vidal-Naquet y explique la façon, fort inattendue, dont elle a pris possession de son sujet, la méthode particulière qu’elle a suivie – toutes choses passionnantes pour comprendre un peu la façon dont les choses se font ou pas dans notre esprit. Elle insiste également sur la façon dont en dépit des différences sociales et des singularités individuelles ces innombrables correspondances brassent à peu près toutes, en fait, les mêmes lieux communs, tournant inlassablement autour des grands thèmes de l’organisation de la vie matérielle, de la santé, de la famille et aussi de l’amour. Pour ce qui est de ce dernier elle explique en quoi la menace constante de la guerre, liée à l’éloignement des conjoints a peu à peu libéré chez certains une parole au départ entravée par toutes sortes de conventions...

jeudi 31 mars 2016

LE PRIX DES DÉCOUVREURS 2016 À LA POÈTE SYRIENNE FADWA SOULEIMANE !

Fadwa Souleimane au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer
Ainsi que l’annonçaient bien les premiers résultats qui nous sont parvenus, c’est sur À la pleine lune, le livre de Fadwa Souleimane publié par les toutes jeunes éditions du Soupirail, que se sont très largement portés les suffrages des quelques 2000 lycéens et collégiens qui cette année ont participé à l’édition 2016 du Prix des Découvreurs.

On ne s’en étonnera pas, tant la nature de ce livre et la personnalité de son auteur avaient de quoi retenir l’attention de ces jeunes pour qui la poésie n’a rien à voir avec un jeu gratuit d’esthète ou d’intellectuel avant tout soucieux de distinction. Découvrant À la pleine lune et le parcours si particulier de son auteur ils ont, je crois, compris le caractère profondément vital pour ce dernier de ces poèmes marqués par la guerre et l’exil, par la volonté de ne pas laisser le dernier mot au silence, celui de la défaite et de la résignation.

Habitués à ce qu’on leur parle de poésie engagée et plus familiers certainement du Melancholia de Victor Hugo ou du trop fameux Liberté d’Eluard, que des écrits des poètes d’aujourd’hui qui sont – de par la force actuelle des choses – presque tous des textes de résistance, ils ont ainsi pu comprendre à quelles nécessités répond toujours et en profondeur la poésie de notre temps. Quand elle est animée d’un désir authentique de parole. D’un besoin fondamental de dire.

Comme l'écrit quelque part Ariane Dreyfus, le poème « n’est pas une succession de mots, mais l’élan d’une parole dans la relativité d’un corps ». Et en ce sens il ne peut exister autrement qu’engagé. Surtout si ce corps, appréhendé dans l’exil, ayant perdu son environnement familier, ses racines d’enfance, est condamné à se vivre désormais dans une culture, un espace et une langue autres.


Ce n’est qu’une fois installée en France pour fuir l’arrêt de mort promulgué par le tyran syrien Assad, que la comédienne Fadwa Souleimane a éprouvé pour la première fois la nécessité de retrouver sa langue en se mettant à écrire de la poésie. Tombeau des morts qu’elle a laissés derrière elle, des innocences de la paix saccagée, ses textes tout en désignant clairement les responsables, restent toutefois habités par la volonté farouche de ne rien céder aux multiples formes de violences qui se concurrencent aujourd’hui un peu partout dans le monde. Certaine que les divisions, quelles qu’en soit la nature, ne font aller l’humanité qu’un peu plus vite vers sa perte, Fadwa Souleimane, en dépit de tout, nous invite au chant réconcilié de l’Un.



lundi 8 février 2016

RENCONTRES AVEC FADWA SOULEIMANE.

Dans le cadre de l’édition 2015-2016 du Prix des Découvreurs, nous venons d’accompagner la poète syrienne Fadwa Souleimane dans deux grands lycées de Boulogne-sur-Mer, les lycées Mariette et Branly. Nous reviendrons sur ces rencontres qui seront suivies prochainement par des interventions dans d’autres établissements de l’Académie de Lille, notamment à Calais, Denain et Valenciennes.

Disons simplement ici que ces interventions ont particulièrement touché les nombreux jeunes qui ont eu la chance de rencontrer celle qui s’est surtout présentée comme une porte-parole du peuple syrien victime d’une guerre qui dépasse largement les enjeux de politique intérieure auxquels certains voudraient la réduire.

Tout comme le public, venu rencontrer l’auteur à la librairie l’Horizon, chacun a pu se rendre compte de la forte personnalité de Fadwa Souleimane, une femme artiste qui après  s’être engagée au service d’une révolution pacifiste n’a rien renié de ses idéaux et continue, envers et contre tout, son combat de justice et de fraternité.

samedi 23 janvier 2016

KATRINA. ISLE DE JEAN CHARLES, LOUISIANE. FRANK SMITH. CES LIEUX QUI SONT AUSSI DES FORCES !

Habitation Isle Jean Charles




















« Il faut s’exercer au lexique de l’écart, de l’éloignement, de la dispersion. Pointer du doigt les formes de l’effacement. L’abandon et l’abolition s’ajoutent à la liste. On lutte contre l’anéantissement, c’est toujours ce que l’on entend au sujet des Indiens. »

Je ne me lancerai pas ici dans une analyse du beau livre que Frank Smith  a consacré au sort de cette terre de Louisiane aujourd’hui noyée dans l’éparpillement, à laquelle, malgré ouragans et cyclones, malgré les féroces dégâts occasionnés par l’exploitation pétrolière, continuent de s’accrocher quelques descendants d’Indiens Biloxi-Chitazmacha-Choctaw qui semblent y avoir mené, dans le vieux temps, c’est-à-dire au moins jusqu’au milieu du siècle dernier, une vie relativement protégée. Je ne ferais assurément pas mieux que l’excellent compte-rendu de Jean-Philippe Cazier, intitulé Poétique de la circulation, qu’on pourra lire en accès libre sur MEDIAPART.

Je ne suis pas familier de l’œuvre de Frank Smith et suis même généralement sceptique sur l’intérêt, pour moi, des livres que défendent a priori quelques-uns de ces artistes intellectuels proclamés d’avant-garde qui semblent lui vouer une certaine admiration. L’agacement que provoquent chez moi la multiplication, dans la création contemporaine, des listes, son refus assez systématique de l’élaboration rythmique et syntaxique, la platitude assez générale de la langue et ses copiés-collés de la soi-disant réalité, aurait dû même me détourner de m’intéresser à un ouvrage où ces choses, à première vue, se découvrent.

Me retiennent pourtant et fortement dans ce livre, non seulement le tableau déprimant de notre monde de plus en plus abandonné aux puissances technologiques, matérielles et financières qui le défigurent et en réduisent toujours davantage la belle et giboyeuse diversité humaine et naturelle. Non seulement encore le dispositif ouvert choisi par Frank Smith pour rendre compte de son empathique relation avec la micro-nation indienne par laquelle il est parvenu à se faire accueillir. Me retient en premier lieu la disposition d’un authentique écrivain qui dans ce livre semble presque totalement renoncer à cette position d’autorité que lui confère en principe sa qualité d’auteur.

                                           Un délestage de soi-même


mercredi 18 novembre 2015

CENDRARS. PATRICIO GUZMAN. FABIENNE RAPHOZ ... TIENS VOILA DU BOUDIN ! COMMENT SORTIR DU NOIR ?

C’est effectivement le travail des artistes. Des écrivains. Des penseurs. Et bien entendu des poètes. Il serait toutefois dangereux de minimiser les difficultés d’une telle entreprise. Tant la réalité, si tant est qu’on puisse comme ça la désigner singulière, sidère. Tend à celui qui voudrait la regarder en face –pas à partir de ses simples réflexes mentaux - son visage pétrifiant de Méduse.

«  Un profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne parvient pas à trouver ses mots »


Le poète Blaise Cendrars a connu, lui qui s’est volontairement jeté au cœur de l’épouvantable réalité de la première guerre mondiale, ce profond bouleversement de l’intelligence qui fait qu’on ne parvient plus à trouver ses mots, ses mots de poète, qui pourraient donner sens et l’on sait que contrairement à d’autres, comme Apollinaire par exemple, il ne se sentit plus en mesure – à l’exception d’ailleurs très significative de La Guerre au Luxembourg – d’écrire le moindre vers. Et dut attendre la seconde guerre mondiale avant de pouvoir évoquer sa propre blessure et de le faire, en prose.
Revenant en 1949, dans le Lotissement du ciel, sur ces moments où, soldat, il guettait à son créneau la nuit couvrant le no man’s land, il affirme qu’il ne trouve pas de réponse autre au terrible spectacle de la condition humaine « jetée en holocauste sur l’autel féroce et vorace des patries » que le refrain de la Légion, ce refrain qui, écrit-il, « vous fait franchir les parapets de la raison ».

« La perpétuelle réinvention de l’horreur à laquelle les hommes se prêtent de si bon cœur, de façon si diverse et parfois bien dissimulée, sur l’ensemble de la terre »