« Je parlerai dans ce poème/ D’un monde qui a
déjà bien avancé dans son recul… Dans sa/ Dévastation. » Ce monde dont
entreprend de nous parler Ivar Ch’Vavar, dans La vache d’entropie que viennent de publier les éditions Lurlure,
s’il est bien celui d’abord de son enfance, ce petit territoire rural du
Pas-de-Calais sis entre Montreuil-sur-Mer et Berk, est en réalité bien plus
vaste. Plus vaste aussi sans doute que celui qu’il appelle sa Grande Picardie Mentale, à ne pas
confondre avec ce qui se fait aujourd’hui frauduleusement appeler Hauts-de-France et qu’il ne peut
s’empêcher d’appeler Hauts-de-Merde.
Il me semble être tout simplement, le monde, notre monde à tous, non seulement
celui que le grand troupeau des « politiciens,
journalistes, communicants, et même "intellectuels", philosophes
déclarés, psychanalystes pour le prime time des télés » passé aux
ordres du capitalisme, a fini par imposer à chacun d’entre nous et que l’auteur
figure, à sa manière, sous les traits de l’automobiliste pressé, « vague forme, en buste, massif et obtus,
raidi derrière les vitres de sa bagnole sinistre» mais celui qui en
profondeur se confond avec notre destinée d’être, jeté un jour dans la Grande
Pâture des existences, pour s’en aller, plus ou moins droit, vers la mort.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mardi 22 janvier 2019
vendredi 11 janvier 2019
D’ÂME & DE CHAIR. EXERCICE DE L’ADIEU DE JEAN-PIERRE VIDAL.
LE TINTORET SUZANNE ET LES VIEILLARDS VIENNE |
Il est des livres
dans lesquels j’ai plus de difficulté à entrer que d’autres. Ainsi les ouvrages
à caractère moral reposant sur des successions d’aphorismes. Je crois que
l’évolution de ma propre pensée m’a progressivement éloigné de tout ce qui,
formule générale, concept ou autre, tend à emprisonner la réalité dans l’obscure
abstraction des structures closes.
vendredi 14 décembre 2018
LES BARRICADES MYSTÉRIEUSES DE FLORENT TONIELLO.
Florent Toniello, apparemment, est un homme riche. Riche de
mots. De phrases. De rencontres. De culture. De territoires parcourus. Riche
aussi de musique, à propos de laquelle il plaint ceux qui, dans cet univers anxiogène
qui est bien vraiment le nôtre, « ne
peuvent entendre dans leur tête, sans les béquilles d’un haut-parleur et d’un
interprète, la LUMINEUSE CONSOLATION DES NOTES ». C’est dire que dans
son rapport au monde, si tout passe d’abord par le sensible, c’est bien en
dernier ressort à l’esprit, qu’il appartient de donner sens et voix à ce qui de
partout nous déborde : ce réel dont un long poème extrait de Lorsque je serai chevalier, nous décrit
l’invasif et sauvage surgissement.
jeudi 29 novembre 2018
MIROIR DE LA POÉSIE. LA GAUFRE VAGABONDE DE JACQUES DARRAS.
« Cuisiniers de
l’image » c’est ainsi que Jacques Darras qualifie les poètes, dans le
merveilleux petit ouvrage qu’il consacre aujourd’hui à la gaufre. La gaufre,
comme il dit, vagabonde. Sa gaufre
pourrait-on dire aussi, de paroles, si l’on ne craignait avec ce clin
d’œil à la figue de Francis Ponge, cet ancien normand retiré sur les hauteurs
du Bar-sur-Loup (Alpes maritimes), de défigurer, courant d’emblée au Sud, à ses
vins, ses huiles et ses à-plats solaires, le puissant imaginaire du blanc, du
beurre, de la levure et de la bière, tout cet imaginaire convaincu d’Européen
du Nord, qui depuis si longtemps anime notre auteur.
mardi 20 novembre 2018
LIRE. EXISTER. TIGRES. LAPINS. CÉCILE COULON, MARLÈNE TISSOT ET HENRI MICHAUX.
Lecteurs, vivants acteurs de la chaîne du livre bien qu’en
principe anonymes destinataires de ce dernier, nous avons, comme très souvent
je le répète, une responsabilité. Et comme aussi l’écrit Virginia Woolf, une
grande importance. « Les critères
que nous posons et les jugements que nous portons [précise-t-elle dans
l’Art du Roman] s’insinuent dans l’air et deviennent partie de
l’atmosphère que respirent les écrivains en travaillant. Une influence est
créée, qui les marque, même si elle ne trouve jamais son expression imprimée.
Et cette influence, si elle est bien préparée, vigoureuse, personnelle,
sincère, pourrait être de grande valeur aujourd’hui, quand la critique se
trouve par la force des choses en suspens, quand les livres défilent comme une
procession d’animaux dans une baraque de tir et que le critique n’a qu’une
seconde pour charger, viser, tirer, bien pardonnable s’il prend un lapin pour
un tigre, un aigle pour une volaille, ou manque son but et perd son coup contre
quelque pacifique vache qui paît dans le champ voisin."
Des critiques qui prennent un lapin pour un tigre, nous n’en
manquons point. Principalement aujourd’hui sur le net. Où une part importante
de la poésie se troque. S’échange. Fait un peu parler d’elle du fait de l’espace
que lui laisse la criante indifférence des medias naturellement préoccupés
d’objets plus rentables. C’est que les dits-lapins sont à l’évidence plus
nombreux que les tigres. Les volailles que les aigles.
mercredi 7 novembre 2018
LES ÉDITIONS LD RÉÉDITENT COMPRIS DANS LE PAYSAGE.
Paru en 2010 chez Potentille,
un de ces éditeurs dont on ne dira jamais assez ce qu’on leur doit pour
continuer, envers et contre tout, à faire un peu reconnaître dans l’espace de
nos sociétés ces travaux singuliers de parole, appliqués non seulement à
élargir comme à approfondir les possibilités de la langue commune mais à
résister comme ils peuvent aux divers formatages dont notre existence fait aujourd’hui
de plus en plus l’objet, Compris dans le
paysage, ce long poème dont je dis volontiers que c’est avec lui que j’ai
enfin compris ce qu’était pour moi la poésie, reparaît sous une autre forme et
sans doute avec de nouvelles significations, aux éditions LD.
dimanche 7 octobre 2018
JE NE SAIS HABITER MON SEUL VISAGE. TOUCHER TERRE DE CÉCILE A. HOLDBAN.
CLIQUER POUR LIRE UN EXTRAIT |
Merci à Cécile A. Holdban de m’avoir adressé Toucher terre,
qui vient de paraître chez Arfuyen. On se trouvera je pense touché, par cette
façon qu’a l’auteur d’y faire apparaître pour les réunir ses visages dispersés.
Et pour elle qui aime à poser souriante, épanouie, devant des buissons de
fleurs ou des paysages idylliques, de nous montrer tout en sachant conserver
comme une forme de grâce et de préciosité parfois quasi préraphaélite, une
sensibilité tout autant mordue par le doute et les mélancolies qui sourdent de
la vie qu’exaltée par les enchantements que le généreux élan qui la pousse
malgré tout vers l’amour et le monde, imprime dans son imagination.
mercredi 3 octobre 2018
UN AMBITIEUX POÈME DU MONDE. TERRE COURTE DE MARTIN WABLE.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR LIRE L'EXTRAIT |
S’il est une aventure qui n’en finit pas d’interroger, plus
ou plus sourdement, l’imaginaire de l’écrivain, c’est bien celle toujours à
reprendre, recommen-cer, poursuivre, de la langue à la recherche de ce qui
quelque part la fonde. L’anime. Ou la surprend. Entreprise indébrouil-lable tant
sont multiples les sons et les images. Les mondes. Dans leurs commerces flamboyants.
Et souterrains. Leurs crises. Leurs vraies ou fausses révélations… Les flux d’altérités,
d’identités, qui de partout traversent. Chargent. Surchargent. Dévient après les
routes vers leurs pentes. Broient les essieux. Faussent les roulements.
mercredi 5 septembre 2018
ON NE LIT PAS POUR LE PLAISIR !
Il est, en matière de lecture, des stéréotypes dont la
répétition m’agace de plus en plus profondément. Celui en particulier de ces
médiateurs de culture qui s’acharnent à vouloir convaincre que lire est un
plaisir, un « délice », chose dont je ne conteste pas la possible
réalité, bien entendu, mais le peu de pertinence qu’elle possède par rapport à
la finalité qu’elle vise, à savoir : défendre, au profit des publics principalement
les plus démunis - et ces derniers ne font apparemment que s’étendre - l’idée
que la dite lecture est indispensable au développement d’une subjectivité
ouverte capable de résister aux diverses puissances d’asservissement de
l’esprit humain, que nos sociétés numériques ont considérablement renforcées.
samedi 16 juin 2018
DITES MERCI AUX POÈTES PRÉTENDUMENT ILLISIBLES !
Oui « bien
fou du cerveau » comme dirait La Fontaine qui prétendrait en quelques
lignes, sinon quelques mots, porter sur
le véritable foisonnement des poésies actuelles en France, un jugement complet,
impartial ou définitif. Nous sommes un certain nombre à lire sans esprit de
chapelle, avec un appétit véritable, dans un esprit d’accueil et de
découvertes, quantité d’ouvrages. Dont pour certains nous faisons l’effort tout
aussi véritable, de rendre compte. Sans nous contenter de quelques mots hâtifs
ou mensongers. Et pourtant qui d’entre nous peut se targuer de tout connaître.
Partant de tout pouvoir juger. Personnellement je suis persuadé que si la
poésie, les poésies d’aujourd’hui, ont quelque chose à apporter c’est précisément
par l’exemple qu’elles donnent de ces multiples singularités qui chacune semble
s’être autorisée à advenir comme Sujet,
Sujet à part entière à l’intérieur
d’une langue qui par ses multiples emplois, tend à l’inverse, de plus en plus,
à travers ce qu’on appelle la communication, à nous assujettir aux discours
intéressés de l’autre. Cette « fabrique » du Sujet, chacun en poésie
la tente à sa manière. Plus ou moins juste. Plus ou moins aboutie. Dans son
arbre généalogique. Je veux dire à partir de ce que les hasards de la vie et de
ses propres lectures ainsi que les conditions générales de sa propre
sensibilité, lui permettent d’atteindre. Il en résulte, considérablement
accentué par l’explosion de toutes les libertés que la poésie depuis plus d’un
siècle s’est attachée à conquérir, au point de ne pouvoir plus être
formellement définie par personne, des œuvres ou du moins des ouvrages voire
des prestations, d’une diversité, d’une hétérogénéité telle qu’il ne s’en vit
jamais auparavant dans l’histoire. Et toutes loin de là ne sont pas illisibles.
Et toutes ne sont pas le fait de vieux poètes rancis. Et toutes ne sont pas
nombrilistes. Et toutes ne cherchent pas non plus la vaine gloire de se faire
entendre en ouverture du Journal de TF1. Où elles retomberaient, je pense,
nécessairement sous l’empire de ce qu’elles avaient au départ pour vocation de
fuir.
mardi 12 juin 2018
"LA PUISSANCE D'UNE MOUCHE SUR LE PARE-BRISE D'UNE PORSCHE". À LIRE À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE !
Il y a un problème avec le mot poésie : c’est
qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas, ce terme leur confère d’ordinaire une forte
valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en
principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la
poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit
dans le fond jamais.
De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que
vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie
qui s’achève, la Boucherie littéraire,
tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se
rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de
liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la
trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de
jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin
Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage
de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on
peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus
élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle
Sauvage.
jeudi 31 mai 2018
SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.
Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
mardi 8 mai 2018
INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.
Pierre oghamique |
Je ne sais si cette attitude est
partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un
poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur,
dans une espèce de « transparence
centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à
l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux
également importent. Et rien de « central »
n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et
créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une
sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il
sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre.
Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une
campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la
bière, d’une ville étrangère.
Non que je désire que le poème me
décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends
que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une
certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée.
Toujours recommencée.
jeudi 29 mars 2018
AMANDINE MAREMBERT, PRIX DES DÉCOUVREURS 2018.
C’est à Né sans un cri, un ouvrage d’Amandine Marembert publié aux éditions des Arêtes, qu’ira le
prix des Découvreurs 2018. J’ai eu déjà l’occasion de dire ici le bien que je
pensais de cet ouvrage qui au-delà de ses grandes qualités littéraires, ce qui
n’est pas toujours le souci premier de la plupart de nos jeunes lecteurs,
témoigne d’une profonde sensibilité à une question à laquelle ces derniers se
montrent généralement plus réceptifs, qui est celle de la différence. De notre
capacité aussi à comprendre, à accueillir l’altérité. De la plus ou moins
grande plasticité intérieure qui nous est nécessaire pour ne pas ériger notre
mode particulier et plus ou moins commun d’être, en absolu.
Amandine Marembert |
Ce sont les poètes, les vrais,
qui parlent le mieux de leurs confrères. Ainsi c’est à Christiane
Veschambre, à la façon dont elle a su me donner envie de la lire, que
je dois de m’être penché avec plus d’attention sur le travail d’Amandine
Marembert. Aussi, rien ne me réjouis donc plus aujourd’hui que la perspective
de voir Amandine et Christiane, rassemblées le vendredi 13 avril à
Boulogne-sur-Mer, la première pour recevoir son Prix, la seconde pour nous
parler avec son compagnon Aimé Agnel, de Paterson,
ce beau film de Jarmusch auquel elle vient de consacrer Ils dorment, un court mais bien émouvant texte, à l’Antichambre du
Préau.
dimanche 25 mars 2018
REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.
Quelle est l’origine profonde de ton livre ?
Qui ne sait qu’en matière d’art,
et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une
poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une
opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé les principaux aboutissants.
Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est
apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de
lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples
sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il
s’est trouvé prendre figure.
En cela ce livre est un livre
vivant.
Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à
tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent
ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la
mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont
comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne
élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur
offrir « quelques fleurs ».
C’est vrai. Mais si le livre se
présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale
et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne,
cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de
Californie, cimetière de Craonnelle … - il se présente de toute évidence beaucoup moins
comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre
que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il
fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la
sauvagerie de la guerre n’avait cruellement
mis un terme à leur espérance légitime de vivre.
Car c’est bien de l’intérieur de
ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui
m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque
chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.
vendredi 16 mars 2018
PAROLE ET BARBARIE. UN HOMME AVEC UNE MOUCHE DANS LA BOUCHE DU POÈTE IRAKIEN ALI THAREB.
On s’étonnera peut-être de voir commencer
une note de lecture portant sur le recueil d’un jeune poète irakien par
l’évocation d’une photographie représentant l’exécution en janvier 43 dans la
ville de Bosanska Krupa, en Bosnie, d’une résistante yougoslave de 17 ans, Lepa
Svetozara Radić, coupable d’avoir tiré sur des soldats allemands.
Cette image sidérante que le
hasard vient de me mettre sous les yeux, interroge puissamment sur notre
capacité à réagir face aux atrocités dont, pour les plus chanceux d’entre nous,
nous ne sommes que les témoins lointains. Et sur la possibilité surtout que
nous avons de leur donner sens par la seule vertu de la parole.
jeudi 15 février 2018
DÉCHIRER NOTRE FILET MENTAL. GALERIE MONTAGNAISE DE DIDIER BOURDA.
À quoi se mesure l’importance ou
la nécessité d’une œuvre ? Et d’ailleurs à quoi bon mesurer ?
Étalonner. Classer. Toujours hiérarchiser. Difficile quand même de négliger le
fait qu’il existe des œuvres qui par l’ouverture de l’intelligence sensible qui
préside à leur écriture, excèdent, par la profondeur des questions et l’importance
des éléments qu’elles convoquent, l’attention toute relative que méritent la plupart des
petites combinaisons poético-narcissiques par lesquelles certains parviennent à
faire malgré tout illusion.
Galerie montagnaise, du béarnais Didier Bourda, est justement de
ces livres majeurs qui, sans renoncer en rien à la nécessité de dire ses quatre
vérités à notre triste époque, présente aussi la féroce ambition de redonner à
la poésie quelque chose de la magie profonde, de la nécessité vitale, du lien
originel aussi, qu’au sein de sociétés depuis longtemps disparues, elle
entretenait avec le monde.
dimanche 4 février 2018
UN GRAND POÈME DE LA VILLE. KALA GHODA DE ARUN KOLATKAR (1931-2004)
Je reviens aujourd'hui, suite à diverses rencontres qui m'ont amené à l'évoquer, sur le superbe grand livre sous-titré Poèmes de Bombay, du poète indien disparu en 2004, Arun Kolatkar.
Une gamine, "un
polichinelle dans le tiroir depuis, à vue de nez, sept mois" "cavale comme une
gazelle", un jerrycan à la main à la poursuite de la carriole d'un vendeur de
kérosène. À l'heure du petit déjeuner, un bossu cul de jatte bat, sur son
"skateboard maison" des records de vitesse, "s'envole sur les ralentisseurs"
pour coiffer au poteau un "vieux paralytique en fauteuil roulant fabriqué avec
deux vélos cannibalisés". "Tel un Démosthène frappadingue", un ivrogne qui se
réveille tonne à l'adresse de la ville entière qu'elle n'est qu'un "colossal
tas de merde". "Les doigts funambules" d'un aveugle "tressent un lit de corde"
qui "se tourne et se retourne dans ses bras" comme s'il apprenait à danser.
Tandis qu'un peu plus loin, "tchac-a-boum-tchac-tchac tchac-a-bim-boum-bam"
passe la fanfare des lépreux, le Bombay Lepers'Band. On le voit. C'est une
sorte de Cour des Miracles que met en
scène le poète indien Arun Kolatkar dans ces Poèmes de Bombay que les éditions
Gallimard nous ont fait découvrir grâce au talent de ces deux
traducteurs que sont Pascal Aquien et Laetitia Zecchini. Toutefois cette Cour
des Miracles que constitue la population du quartier de Kala Ghoda que notre
auteur a observé des années durant, de sa table du Wayside Inn qui lui offrait
une vue dégagée sur ce carrefour fréquenté au centre de la métropole indienne,
n'a rien de l'espace sordide, inquiétant, malfaisant que le roman de Victor
Hugo, Notre Dame de Paris, en quête de pittoresque d'époque, a popularisé.
(1)
samedi 9 décembre 2017
RECOMMANDATION. KASPAR DE PIERRE DE LAURE GAUTHIER À LA LETTRE VOLÉE.
Comment le dire : insignifiants
de plus en plus m’apparaissent ces petits
poèmes qu’on peut lire aujourd’hui publiés un peu partout, sans le secours
du livre. Non du livre imprimé, de l’objet
d’encre et de papier qu’on désigne le plus souvent par ce terme. Mais de cet
opérateur de pensée, de ce dispositif supérieur de signification et
d’intelligence sensible qui organise les perspectives, relie en profondeur et
me paraît seul propre à mériter le nom d’œuvre.
Non, bien entendu, que tel petit
poème ne puisse charmer par tel ou tel bonheur d’expression, la justesse par
laquelle il s’empare d’un moment ou d’un fragment de réalité et parvient ainsi
à s’imprimer dans la mémoire. Et nous disposons tous – et moi pas moins qu’un
autre - de ce trésor de morceaux qu’à l’occasion nous nous récitons à
nous-mêmes et dans lequel, même si c’est devenu un cliché de le dire, certains,
dans les conditions les plus dramatiques puisent pour donner sens à leur souffrance
et trouver le courage ou la volonté d’y survivre.
Mais la littérature me semble
aujourd’hui avoir bien changé. Nous ne sommes plus au temps des recueils.
Difficile de plus en plus d’isoler radicalement la page de l’ensemble dans lequel elle a place. C’est en terme de
livre qu’aujourd’hui paraissent les œuvres les plus intéressantes. Pas sous
forme de morceaux choisis. Ce qui rend aussi du coup la critique plus
difficile. Aux regards habitués, comme le veut notre époque, aux feuilletages.
Au papillonnage. Aux gros titres. À la pénétration illusoire et rapide.
Le livre de Laure Gauthier, kaspar de pierre, paru à La Lettre volée, est précisément de ceux
dont le dispositif et la cohérence d’ensemble importent plus que le détail
particulier. Ou pour le dire autrement est un livre dans lequel le détail
particulier ne prend totalement sens qu’à la lumière de l’ensemble. Non
d’ailleurs que tout à la fin nous y paraisse d’une clarté parfaite. S’attachant
à y évoquer non la figure mais l’expérience intérieure de ce Kaspar Hauser que
nous ne connaissons le plus souvent qu’à travers l’image de « calme orphelin » rejeté par la vie,
qu’en a donnée Verlaine, Laure Gauthier, à la différence de ceux qui se sont
ingéniés à résoudre le bloc d’énigmes que fut l’existence et la destinée de cet
étrange personnage, ramènerait plutôt ce dernier à sa radicale opacité, son
essentielle différence qui n’est peut-être d’ailleurs à bien y penser que
celle, moins visible et moins exacerbée par les circonstances certes, de chacun
d’entre nous.
mercredi 22 novembre 2017
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. AU BORD DE SEREINE BERLOTTIER AUX ÉDITIONS LANSKINE.
« comment
/ inventer le passage/ la pensée au bord de ce lit/ près de celle qui veut
bien/ qu’on parle de tout/ sauf bien sûr/ et de ceci/ secrètement/ pas
même ? »
Au bord. Toujours
nous nous voyons renvoyés vers des bords. Des bords de vivre à ceux de la
pensée. Des bords de la pensée à ceux de la parole. De partout débordés aussi.
Par les choses. Les sentiments. Les idées. Par cette façon que nous avons de
pencher avec sur nous les ombres des autres. Les ombres aussi de l’espace. Et
du temps. Mais il nous faut l’épreuve de certaines expériences, celles souvent
de la perte et de la douleur, pour pleinement prendre conscience des limites de notre
condition qui fait que jamais nous ne pouvons totalement rejoindre. Jamais pleinement
nous fondre. Autrement que dans l’illusion. Même si nous avons inventé l’art et
la parole pour tromper nos insatisfactions.
C’est à cette dimension radicale de l’être que renvoie,
me semble-t-il, le dernier livre de Sereine Berlottier, justement intitulé Au bord. Se présentant comme une sorte
de récit en vers, lacunaire, elliptique souvent, mais suffisamment ancré dans
le détail des circonstances pour que les choses nous deviennent au fil des
pages, de plus en plus compréhensibles, le livre de Sereine Berlottier ne
cherche pas à broder sur les sentiments bien connus qui accompagnent la progressive
disparition d’un proche. Sans en passer par le fil trompeur des enchaînements
factuels et des analyses convenues, son livre s'efforce, dans un tâtonnement de
paroles, faisant parfois retour sur sa propre impuissance, de découvrir un
passage qui relierait son auteur non pas seulement à la personne de sa mère, d’abord
mourante puis morte, mais à quelque
chose de plus vaste, de moins facilement intelligible aussi, qui serait
l’espace où les cœurs ne se verraient plus partagés. Où chaque parole encore,
qu’elle porte sur le passé tout autant que sur le présent, serait enfin
pleinement accueillie, à demeure !
L’art étant forme et abstraction, cette aspiration
qui la porte, passe dans la matière du livre par un choix de vers libres porteurs de notations factuelles brèves, jamais
développées, parfois même amputées de leur complément et associées selon le
principe d’un montage à la fois sec et émouvant dans la mesure où l’on
comprend, ressent, assez vite que par-là s’exprime dans le même temps,
l’incisive attention de l’œil et de l’esprit et la confusion non moins certaine
du cœur et de la pensée qui se troublent.
Louis Soutter, Ame partie. |
SUR CE LIVRE VOIR EGALEMENT :
Angèle Paoli sur terresdefemmes
Antoine Emaz sur POEZIBAO
Gérard Cartier dans Secousse
Un vidéo-poème de S. Berlottier et Jean-Yves Bernhard sur remue.net
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