Il est, en matière de lecture, des stéréotypes dont la
répétition m’agace de plus en plus profondément. Celui en particulier de ces
médiateurs de culture qui s’acharnent à vouloir convaincre que lire est un
plaisir, un « délice », chose dont je ne conteste pas la possible
réalité, bien entendu, mais le peu de pertinence qu’elle possède par rapport à
la finalité qu’elle vise, à savoir : défendre, au profit des publics principalement
les plus démunis - et ces derniers ne font apparemment que s’étendre - l’idée
que la dite lecture est indispensable au développement d’une subjectivité
ouverte capable de résister aux diverses puissances d’asservissement de
l’esprit humain, que nos sociétés numériques ont considérablement renforcées.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mercredi 5 septembre 2018
samedi 16 juin 2018
DITES MERCI AUX POÈTES PRÉTENDUMENT ILLISIBLES !
Oui « bien
fou du cerveau » comme dirait La Fontaine qui prétendrait en quelques
lignes, sinon quelques mots, porter sur
le véritable foisonnement des poésies actuelles en France, un jugement complet,
impartial ou définitif. Nous sommes un certain nombre à lire sans esprit de
chapelle, avec un appétit véritable, dans un esprit d’accueil et de
découvertes, quantité d’ouvrages. Dont pour certains nous faisons l’effort tout
aussi véritable, de rendre compte. Sans nous contenter de quelques mots hâtifs
ou mensongers. Et pourtant qui d’entre nous peut se targuer de tout connaître.
Partant de tout pouvoir juger. Personnellement je suis persuadé que si la
poésie, les poésies d’aujourd’hui, ont quelque chose à apporter c’est précisément
par l’exemple qu’elles donnent de ces multiples singularités qui chacune semble
s’être autorisée à advenir comme Sujet,
Sujet à part entière à l’intérieur
d’une langue qui par ses multiples emplois, tend à l’inverse, de plus en plus,
à travers ce qu’on appelle la communication, à nous assujettir aux discours
intéressés de l’autre. Cette « fabrique » du Sujet, chacun en poésie
la tente à sa manière. Plus ou moins juste. Plus ou moins aboutie. Dans son
arbre généalogique. Je veux dire à partir de ce que les hasards de la vie et de
ses propres lectures ainsi que les conditions générales de sa propre
sensibilité, lui permettent d’atteindre. Il en résulte, considérablement
accentué par l’explosion de toutes les libertés que la poésie depuis plus d’un
siècle s’est attachée à conquérir, au point de ne pouvoir plus être
formellement définie par personne, des œuvres ou du moins des ouvrages voire
des prestations, d’une diversité, d’une hétérogénéité telle qu’il ne s’en vit
jamais auparavant dans l’histoire. Et toutes loin de là ne sont pas illisibles.
Et toutes ne sont pas le fait de vieux poètes rancis. Et toutes ne sont pas
nombrilistes. Et toutes ne cherchent pas non plus la vaine gloire de se faire
entendre en ouverture du Journal de TF1. Où elles retomberaient, je pense,
nécessairement sous l’empire de ce qu’elles avaient au départ pour vocation de
fuir.
mardi 12 juin 2018
"LA PUISSANCE D'UNE MOUCHE SUR LE PARE-BRISE D'UNE PORSCHE". À LIRE À LA BOUCHERIE LITTÉRAIRE !
Il y a un problème avec le mot poésie : c’est
qu’appliqué à quantité de choses qui n’en sont pas, ce terme leur confère d’ordinaire une forte
valeur ajoutée alors que la chose ou les choses, restons vague, que ce terme en
principe désigne, souffrent publiquement d’une cruelle désaffection. Bref, la
poésie, il semble qu’on en ait d’autant plus plein la bouche qu’on n’en lit
dans le fond jamais.
De cet amer constat, le livre de Marc Guimo que
vient, à sa manière un peu provocatrice, de sortir pour le Marché de la poésie
qui s’achève, la Boucherie littéraire,
tire une suite de variations qu’on pourrait presque dire désopilantes, si l’on était certain que le lecteur pouvait se
rappeler l’origine médicale de ce mot. Car c’est vrai qu’avec cette espèce de
liberté relâchée de ton et de langage, cette prise plus directe sur la
trivialité de nos existences quotidiennes, par laquelle un certain nombre de
jeunes auteurs entendent se démarquer du style un peu guindé, gourmet, un brin
Guermantes et constipé qu’ils prêtent sans trop les connaître à leurs aînés, l’ouvrage
de Guimo fait du bien et désobstrue un peu les rates, même si pour finir on
peut sans doute lui préférer les réflexions et les confidences autrement plus
élaborées et nourrissantes qu’on trouve par exemple dans l’Écrire et surtout le Basse langue de Christiane Veschambre, parues ces derniers temps, chez Isabelle
Sauvage.
jeudi 31 mai 2018
SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.
Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
mardi 8 mai 2018
INSCRIPTIONS IRLANDAISES. LA PIERRE À 3 VISAGES DE FRANÇOIS RANNOU.
Pierre oghamique |
Je ne sais si cette attitude est
partagée par beaucoup mais je me fiche de plus en plus de démêler à propos d’un
poème ce qui s’y est écrit de l’intérieur,
dans une espèce de « transparence
centrale », de ce qui lui est venu de l’extérieur dans une sorte d’abandon, plus ou moins improvisé, à
l’imaginaire de la langue. Dans un texte réussi et qui compte, les deux
également importent. Et rien de « central »
n’y remonte en surface qui n’y ait été en partie invité par cette vivifiante et
créatrice déprise apparente de soi que permettent les mille et une
sollicitations de l’écriture. Compte pour moi qu’un poème ait une odeur. Qu’il
sente ou non la tourbe ou la bruyère. Que je l’éprouve animé de vie propre.
Qu’elle soit ardeur ou torpeur. S’enfonce dans les chemins tranquilles d’une
campagne solitaire ou s’agite sur les quais bruyants empestant la saumure ou la
bière, d’une ville étrangère.
Non que je désire que le poème me
décrive. Figure. Il n’y a pas, je crois, de poésie descriptive. Mais j’attends
que les matériaux qu’il utilise me rendent au vivant qui renverse. Dans une
certaine épaisseur d’être. Qui aille avec le sentiment d’une approche tentée.
Toujours recommencée.
jeudi 29 mars 2018
AMANDINE MAREMBERT, PRIX DES DÉCOUVREURS 2018.
C’est à Né sans un cri, un ouvrage d’Amandine Marembert publié aux éditions des Arêtes, qu’ira le
prix des Découvreurs 2018. J’ai eu déjà l’occasion de dire ici le bien que je
pensais de cet ouvrage qui au-delà de ses grandes qualités littéraires, ce qui
n’est pas toujours le souci premier de la plupart de nos jeunes lecteurs,
témoigne d’une profonde sensibilité à une question à laquelle ces derniers se
montrent généralement plus réceptifs, qui est celle de la différence. De notre
capacité aussi à comprendre, à accueillir l’altérité. De la plus ou moins
grande plasticité intérieure qui nous est nécessaire pour ne pas ériger notre
mode particulier et plus ou moins commun d’être, en absolu.
Amandine Marembert |
Ce sont les poètes, les vrais,
qui parlent le mieux de leurs confrères. Ainsi c’est à Christiane
Veschambre, à la façon dont elle a su me donner envie de la lire, que
je dois de m’être penché avec plus d’attention sur le travail d’Amandine
Marembert. Aussi, rien ne me réjouis donc plus aujourd’hui que la perspective
de voir Amandine et Christiane, rassemblées le vendredi 13 avril à
Boulogne-sur-Mer, la première pour recevoir son Prix, la seconde pour nous
parler avec son compagnon Aimé Agnel, de Paterson,
ce beau film de Jarmusch auquel elle vient de consacrer Ils dorment, un court mais bien émouvant texte, à l’Antichambre du
Préau.
dimanche 25 mars 2018
REFAIRE PASSER LA MORT DU CÔTÉ DE LA VIE. UN BOUQUET POUR LES MORTS. ENTRETIEN AVEC GEORGES GUILLAIN.
Quelle est l’origine profonde de ton livre ?
Qui ne sait qu’en matière d’art,
et la poésie est avant tout un art, l’œuvre est plus souvent le fruit d’une
poussée, d’un entraînement inconscient de toute la pensée sensible qu’une
opération préméditée dont l’esprit aura dès le départ pesé les principaux aboutissants.
Un Bouquet pour les morts est de ces livres dont le sens ne m’est
apparu que bien tard. Et qui réellement s’est fait, pourrais-je dire, de
lui-même, entendant par-là que c’est en réponse aux progressives et multiples
sollicitations des divers éléments qui lentement s’y sont vus rassemblés, qu’il
s’est trouvé prendre figure.
En cela ce livre est un livre
vivant.
Oui mais dans l’adresse finale au lecteur tu le relies clairement à
tous les disparus de la Grande Guerre. Et la plupart des poèmes qui composent
ton Bouquet sont dédiés à des soldats de diverses origines qui ont trouvé la
mort à l’occasion de ce conflit. Tu dis aussi dans cette adresse qu’ils sont
comme une réponse à l’invitation que tu as découverte sur le fût d’une colonne
élevée à la mémoire des soldats russes venus combattre pour la France, de leur
offrir « quelques fleurs ».
C’est vrai. Mais si le livre se
présente effectivement comme une offrande aux morts de la première guerre mondiale
et évoque certains des lieux où ils reposent – vallée de la Somme, plaine de l’Aisne,
cratère de Lochnagar, Ferme de Navarin, Main de Massiges, plateau de
Californie, cimetière de Craonnelle … - il se présente de toute évidence beaucoup moins
comme le rappel des horreurs dont ces paysages furent en leur temps le théâtre
que l’évocation de la relation affective, charnelle, que les disparus dont il
fait état auraient pu entretenir heureusement, pleinement, avec le monde si la
sauvagerie de la guerre n’avait cruellement
mis un terme à leur espérance légitime de vivre.
Car c’est bien de l’intérieur de
ma vie propre, de la relation particulière que j’entretiens avec ce qui
m’entoure, m’émeut et me nourrit que cet ouvrage, peut-être, approche quelque
chose de l’existence de ceux que je fais figurer dans ses pages.
vendredi 16 mars 2018
PAROLE ET BARBARIE. UN HOMME AVEC UNE MOUCHE DANS LA BOUCHE DU POÈTE IRAKIEN ALI THAREB.
On s’étonnera peut-être de voir commencer
une note de lecture portant sur le recueil d’un jeune poète irakien par
l’évocation d’une photographie représentant l’exécution en janvier 43 dans la
ville de Bosanska Krupa, en Bosnie, d’une résistante yougoslave de 17 ans, Lepa
Svetozara Radić, coupable d’avoir tiré sur des soldats allemands.
Cette image sidérante que le
hasard vient de me mettre sous les yeux, interroge puissamment sur notre
capacité à réagir face aux atrocités dont, pour les plus chanceux d’entre nous,
nous ne sommes que les témoins lointains. Et sur la possibilité surtout que
nous avons de leur donner sens par la seule vertu de la parole.
jeudi 15 février 2018
DÉCHIRER NOTRE FILET MENTAL. GALERIE MONTAGNAISE DE DIDIER BOURDA.
À quoi se mesure l’importance ou
la nécessité d’une œuvre ? Et d’ailleurs à quoi bon mesurer ?
Étalonner. Classer. Toujours hiérarchiser. Difficile quand même de négliger le
fait qu’il existe des œuvres qui par l’ouverture de l’intelligence sensible qui
préside à leur écriture, excèdent, par la profondeur des questions et l’importance
des éléments qu’elles convoquent, l’attention toute relative que méritent la plupart des
petites combinaisons poético-narcissiques par lesquelles certains parviennent à
faire malgré tout illusion.
Galerie montagnaise, du béarnais Didier Bourda, est justement de
ces livres majeurs qui, sans renoncer en rien à la nécessité de dire ses quatre
vérités à notre triste époque, présente aussi la féroce ambition de redonner à
la poésie quelque chose de la magie profonde, de la nécessité vitale, du lien
originel aussi, qu’au sein de sociétés depuis longtemps disparues, elle
entretenait avec le monde.
dimanche 4 février 2018
UN GRAND POÈME DE LA VILLE. KALA GHODA DE ARUN KOLATKAR (1931-2004)
Je reviens aujourd'hui, suite à diverses rencontres qui m'ont amené à l'évoquer, sur le superbe grand livre sous-titré Poèmes de Bombay, du poète indien disparu en 2004, Arun Kolatkar.
Une gamine, "un
polichinelle dans le tiroir depuis, à vue de nez, sept mois" "cavale comme une
gazelle", un jerrycan à la main à la poursuite de la carriole d'un vendeur de
kérosène. À l'heure du petit déjeuner, un bossu cul de jatte bat, sur son
"skateboard maison" des records de vitesse, "s'envole sur les ralentisseurs"
pour coiffer au poteau un "vieux paralytique en fauteuil roulant fabriqué avec
deux vélos cannibalisés". "Tel un Démosthène frappadingue", un ivrogne qui se
réveille tonne à l'adresse de la ville entière qu'elle n'est qu'un "colossal
tas de merde". "Les doigts funambules" d'un aveugle "tressent un lit de corde"
qui "se tourne et se retourne dans ses bras" comme s'il apprenait à danser.
Tandis qu'un peu plus loin, "tchac-a-boum-tchac-tchac tchac-a-bim-boum-bam"
passe la fanfare des lépreux, le Bombay Lepers'Band. On le voit. C'est une
sorte de Cour des Miracles que met en
scène le poète indien Arun Kolatkar dans ces Poèmes de Bombay que les éditions
Gallimard nous ont fait découvrir grâce au talent de ces deux
traducteurs que sont Pascal Aquien et Laetitia Zecchini. Toutefois cette Cour
des Miracles que constitue la population du quartier de Kala Ghoda que notre
auteur a observé des années durant, de sa table du Wayside Inn qui lui offrait
une vue dégagée sur ce carrefour fréquenté au centre de la métropole indienne,
n'a rien de l'espace sordide, inquiétant, malfaisant que le roman de Victor
Hugo, Notre Dame de Paris, en quête de pittoresque d'époque, a popularisé.
(1)
samedi 9 décembre 2017
RECOMMANDATION. KASPAR DE PIERRE DE LAURE GAUTHIER À LA LETTRE VOLÉE.
Comment le dire : insignifiants
de plus en plus m’apparaissent ces petits
poèmes qu’on peut lire aujourd’hui publiés un peu partout, sans le secours
du livre. Non du livre imprimé, de l’objet
d’encre et de papier qu’on désigne le plus souvent par ce terme. Mais de cet
opérateur de pensée, de ce dispositif supérieur de signification et
d’intelligence sensible qui organise les perspectives, relie en profondeur et
me paraît seul propre à mériter le nom d’œuvre.
Non, bien entendu, que tel petit
poème ne puisse charmer par tel ou tel bonheur d’expression, la justesse par
laquelle il s’empare d’un moment ou d’un fragment de réalité et parvient ainsi
à s’imprimer dans la mémoire. Et nous disposons tous – et moi pas moins qu’un
autre - de ce trésor de morceaux qu’à l’occasion nous nous récitons à
nous-mêmes et dans lequel, même si c’est devenu un cliché de le dire, certains,
dans les conditions les plus dramatiques puisent pour donner sens à leur souffrance
et trouver le courage ou la volonté d’y survivre.
Mais la littérature me semble
aujourd’hui avoir bien changé. Nous ne sommes plus au temps des recueils.
Difficile de plus en plus d’isoler radicalement la page de l’ensemble dans lequel elle a place. C’est en terme de
livre qu’aujourd’hui paraissent les œuvres les plus intéressantes. Pas sous
forme de morceaux choisis. Ce qui rend aussi du coup la critique plus
difficile. Aux regards habitués, comme le veut notre époque, aux feuilletages.
Au papillonnage. Aux gros titres. À la pénétration illusoire et rapide.
Le livre de Laure Gauthier, kaspar de pierre, paru à La Lettre volée, est précisément de ceux
dont le dispositif et la cohérence d’ensemble importent plus que le détail
particulier. Ou pour le dire autrement est un livre dans lequel le détail
particulier ne prend totalement sens qu’à la lumière de l’ensemble. Non
d’ailleurs que tout à la fin nous y paraisse d’une clarté parfaite. S’attachant
à y évoquer non la figure mais l’expérience intérieure de ce Kaspar Hauser que
nous ne connaissons le plus souvent qu’à travers l’image de « calme orphelin » rejeté par la vie,
qu’en a donnée Verlaine, Laure Gauthier, à la différence de ceux qui se sont
ingéniés à résoudre le bloc d’énigmes que fut l’existence et la destinée de cet
étrange personnage, ramènerait plutôt ce dernier à sa radicale opacité, son
essentielle différence qui n’est peut-être d’ailleurs à bien y penser que
celle, moins visible et moins exacerbée par les circonstances certes, de chacun
d’entre nous.
mercredi 22 novembre 2017
RECOMMANDATION DÉCOUVREURS. AU BORD DE SEREINE BERLOTTIER AUX ÉDITIONS LANSKINE.
« comment
/ inventer le passage/ la pensée au bord de ce lit/ près de celle qui veut
bien/ qu’on parle de tout/ sauf bien sûr/ et de ceci/ secrètement/ pas
même ? »
Au bord. Toujours
nous nous voyons renvoyés vers des bords. Des bords de vivre à ceux de la
pensée. Des bords de la pensée à ceux de la parole. De partout débordés aussi.
Par les choses. Les sentiments. Les idées. Par cette façon que nous avons de
pencher avec sur nous les ombres des autres. Les ombres aussi de l’espace. Et
du temps. Mais il nous faut l’épreuve de certaines expériences, celles souvent
de la perte et de la douleur, pour pleinement prendre conscience des limites de notre
condition qui fait que jamais nous ne pouvons totalement rejoindre. Jamais pleinement
nous fondre. Autrement que dans l’illusion. Même si nous avons inventé l’art et
la parole pour tromper nos insatisfactions.
C’est à cette dimension radicale de l’être que renvoie,
me semble-t-il, le dernier livre de Sereine Berlottier, justement intitulé Au bord. Se présentant comme une sorte
de récit en vers, lacunaire, elliptique souvent, mais suffisamment ancré dans
le détail des circonstances pour que les choses nous deviennent au fil des
pages, de plus en plus compréhensibles, le livre de Sereine Berlottier ne
cherche pas à broder sur les sentiments bien connus qui accompagnent la progressive
disparition d’un proche. Sans en passer par le fil trompeur des enchaînements
factuels et des analyses convenues, son livre s'efforce, dans un tâtonnement de
paroles, faisant parfois retour sur sa propre impuissance, de découvrir un
passage qui relierait son auteur non pas seulement à la personne de sa mère, d’abord
mourante puis morte, mais à quelque
chose de plus vaste, de moins facilement intelligible aussi, qui serait
l’espace où les cœurs ne se verraient plus partagés. Où chaque parole encore,
qu’elle porte sur le passé tout autant que sur le présent, serait enfin
pleinement accueillie, à demeure !
L’art étant forme et abstraction, cette aspiration
qui la porte, passe dans la matière du livre par un choix de vers libres porteurs de notations factuelles brèves, jamais
développées, parfois même amputées de leur complément et associées selon le
principe d’un montage à la fois sec et émouvant dans la mesure où l’on
comprend, ressent, assez vite que par-là s’exprime dans le même temps,
l’incisive attention de l’œil et de l’esprit et la confusion non moins certaine
du cœur et de la pensée qui se troublent.
Louis Soutter, Ame partie. |
SUR CE LIVRE VOIR EGALEMENT :
Angèle Paoli sur terresdefemmes
Antoine Emaz sur POEZIBAO
Gérard Cartier dans Secousse
Un vidéo-poème de S. Berlottier et Jean-Yves Bernhard sur remue.net
samedi 11 novembre 2017
POÉSIE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES À L’ÉCOLE. À PROPOS DU PROJET I-VOIX DU LYCÉE DE L’IROISE À BREST.
ELEVES DU LYCEE DE L'IROISE DANS UNE LIBRAIRIE DE BREST |
Comment faciliter l’accès des
jeunes et de leurs maîtres à cette poésie actuelle que le peu d’intérêt que lui
manifeste une société avant tout préoccupée de vitesse, d’images, de pensée
simple et de rentabilité grossière, a rendu presque invisible ; comment revivifier
l’approche que l’institution scolaire, toujours particulièrement frileuse sur
ce point, propose de la poésie, voilà, comme comme on sait, quelques-unes des
préoccupations de notre association qui peut
s’enorgueillir de faire découvrir chaque année des ouvrages d’auteurs vivants à
des centaines et des centaines de jeunes répartis dans toute la France, d’avoir depuis sa création en 1998, fait rentrer
dans les CDI des milliers
d’ouvrages de poésie contemporaine et fait découvrir plusieurs dizaines
de petits éditeurs absents des
librairies comme des bibliothèques publiques.
jeudi 9 novembre 2017
BONNES FEUILLES. ÉCRITURE ET PHOTOGRAPHIE. LA BAIE DES CENDRES DE STÉPHANE BOUQUET AUX ÉDITIONS WARM.
Les jeunes éditions Warm m’ont récemment adressé le bien intéressant petit
livre qu’ils ont réalisé à partir de textes que Stéphane Bouquet a imaginés en
tentant comme elles l’écrivent « d’habiter » des photos de Morgan
Reitz. On rapprochera bien sûr cet ouvrage que nous nous empressons de
recommander, de cet autre beau livre intitulé Les Oiseaux favorables que nous avons sélectionné pour l'édition en cours du Prix des Découvreurs, qui se présente, comme je l’indiquais dans ce blog, « sous
la forme d’un monologue intérieur émanant d’une femme de 46 ans qui sent que
pour elle « tout est peut-être
fini, périmé, caduque, obsolète » et s’éprouve comme « une longue vibration de solitude qu’amplifient
toutes les ondes de douleur environnantes ».
Ce pourrait également être l’occasion pour nos amis professeurs, comme
on le leur recommande, de travailler sur l’image et d’étudier la façon dont
elle peut venir déclencher des actes d’écriture singuliers mais aussi très
fortement personnels.
Nous espérons que la lecture du tout premier texte de La Baie des
cendres, accompagné de la photographie qui en a stimulé l’écriture, donnera
envie à nos lecteurs de découvrir le reste de l’ouvrage.
Si seulement on pouvait m'indiquer la direction pense-t-elle
alors qu'elle s'est égarée dans une ville sans signe distinctif. Nous sommes
sur un pont au-dessus de l'eau et le ciel est aussi orange qu'un jus multifruits
bio vitaminé et sûrement pour l'occasion enrichi en mangues ou bien sinon la
publicité ment. Ce qu'elle voit d'ici, étonnant mais c'est directement le passé
ou presque directement le passé. Le problème est qu'elle est fatiguée et qu'il
est tellement difficile de tout faire tenir ensemble. Cela danse selon un certain
rythme c'est certain mais est-ce le même ? Les arbres plient un peu dans le
vent et des nuages défilent et tout ceci serait demeuré Inaperçu dans d'autres
circonstances. Par exemple, moins fatiguée ou jeune encore, elle aurait pu
éviter les répétitions et les phrases toutes faites et décrire simplement les
barges en bois sur le fleuve et même inventer des scènes torrides pour derrière
les stores de paille. Disons ces récits de jadis qui contiennent notamment des
vêtements imbibés de l'odeur insistante des chevaux. Mais aujourd'hui quelqu'un
a dû lui faire une injection de somnifère ou la peinturlurer d'une crème de
jour à base de plomb, elle a juste le courage de reprendre des mots déjà
entendus : par exemple on raconte qu'un homme voyage furieusement vers toi.
Est-il raisonnable d'avoir encore cet espoir pantelant et au reste une bonne
âme pourrait-elle lui chuchoter qui et quand et éventuellement où qu'elle ne
rate pas derechef le rendez-vous ? Pas dans les environs en tout cas, à moins
que le tramway ne consente à arriver et à s'inventer un arrêt que la photo a
simplement oublié de figurer et les choses alors auraient enfin cet aspect
concret et possible qui permettrait que tout et elle y compris perdure.
D'accord, dit-elle, on verra plus tard si jamais elle atteint plus tard grâce à
sa capacité sportive à outrepasser l'épuisement comme un coureur saute des
haies à toute allure et sans s'affaler. Ce jour-là, les veines de ses paupières
cesseraient de vibrionner. Mais en attendant le bateau postal vient d'apponter
et c'est la solution miracle. II y avait cette lettre qu'elle n'attendait plus
signée de ce prénom rougi comme un cœur qui s'agite. La lettre recommandait
avec un flegme quasi bouddhiste : contemple assez longtemps l'agencement des
lignes et des couleurs, tu devrais être capable de dénicher l'arrière-coin où
se cache la patience récompensée. Un simple baiser d'accueil quand nous serons
réunis. Mais où est-ce ? Peut-être devrait-elle finalement se résoudre à
demander l'aide d'un tiers ? Auriez- vous l'amabilité etc.
Profitons de l’occasion pour renvoyer aux propos de Stéphane Bouquet
dans le dernier numéro de la revue en ligne Secousse, en réponse à la question
lancée par les responsables de la revue : La poésie est-elle
réactionnaire ? En voici des extraits :
Il est
possible donc qu’écrive des poèmes celle ou celui qui a perdu quelque chose,
bien qu’elle ou il ignore quoi précisément – et que le poème soit son effort
d’autoconsolation. En cela, il y a bien une pulsion réactionnaire qui travaille
le fond de la poésie : l’appel d’un retour, quand on n’avait pas bêtement
laissé tomber ses clés ou son os. Mais ce qui ne l’est pas, réactionnaire,
c’est le chemin qu’il faut inventer pour satisfaire cette pulsion. […]
Le but des
poèmes (soyons modestes, des poèmes tels que je les envisage et les écris) est
de produire une vie suffisamment vivante pour donner l’illusion que la vie est
actuelle, présente, ou quasiment. Que nous y sommes presque, dedans, et non pas
exilés. Qu’en fait, il ne nous manque rien : ni un labrador, ni un chêne, ni un
Victor. Si bien que pour ce faire il est indispensable de créer d’interminables
effets de surprise dans la langue, si la vie est bien – comme je le crois – le
sentiment d’inattendu, de décalage qui sort les jours de leurs rails et fait de
chaque heure un matin. La langue du poème s’ingénie à produire de la surprise
et en cela, qu’on le veuille ou non, elle est condamnée au neuf, non par goût
un peu naïf du nouveau en tant qu’il est nouveau, avant-truc et cie, mais parce
que le neuf (dans la langue) est la seule façon de réaliser un état (peut-être
archaïque) où, pour nous (« nous » collectif, ou au moins duel), quelque chose
est toujours intensément de ce monde.
lundi 6 novembre 2017
BONNES FEUILLES ! DIEU EST À L’ARRÊT DU TRAM D’EMMANUEL MOSES.
CLIQUER DANS L'IMAGE POUR LIRE L'EXTRAIT DANS SA TOTALITÉ |
"Il existe des mondes, vous n’avez pas idée." C’est par cette épigraphe empruntée au poète turc Orhan Veli ( 1914 – 1950) que se fait l’entrée dans le tout dernier livre d’Emmanuel Moses où le lecteur retrouvera ce qui fait tout le charme de cette poésie mobile et composite que je qualifierai volontiers de « fantaisiste » si le concept, tout aussi plastique que la sensibilité et l’écriture de l’auteur, n’en était aujourd’hui venu, malgré tous les efforts faits depuis le XIXe siècle pour en définir les contours, à se prêter finalement à toutes les torsions possibles. (voir)
Liberté de la forme, relation toujours neuve et souvent
inattendue avec un réel bien présent mais dans la simple apparence duquel il
importe de ne pas se laisser enfermer, inquiétude de soi, jeté dans un temps
qui n’est pas seulement celui des horloges mais celui de la mémoire et de
l’imaginaire emportés par une culture à la fois vaste et bigarrée,
vulnérabilité sentimentale et labilité souvent pleine de distance de son
expression … c’est un peu tout cela que je retrouve dans Dieu est à l’arrêt du tram qui ne fera peut-être pas oublier des
livres tels que Dernières nouvelles de
Monsieur Néant (2003) ou D’un
Perpétuel hiver (2009) dont j’ai pu en leur temps rendre compte, mais qui
régalera toujours ceux d’entre nous qui aiment à ressentir à travers les
vivifiantes singularités d’un style les irrépressibles provocations de
l’existence. Jusque dans sa déprime.
À l’intention du lecteur
curieux et dans le cadre des choix d’extraits
que nous proposons sur ce blog j’ai choisi pour la richesse de sa thématique, et
tout particulièrement pour son évocation de la dimension profondément vivante
et sensible de l’arbre qui s’enracine dans un temps et un univers bien plus
vastes que le nôtre, un passage du long poème liminaire qui tranche avec le
caractère un peu de pièces d’orfèvrerie (page 100) des poèmes courts qui composent la
plus grande partie de ce recueil. Emmanuel Moses y évoque un séjour ancien dans
une grande ville indienne où il cherche à entendre les paroles d’un arbre
sacré, vraisemblablement ce ficus
religiosa appelé aussi pipal ou arbre des pagodes. (voir)
lundi 30 octobre 2017
RECOMMANDATION. DÉGELLE DE SÉVERINE DAUCOURT-FRIDRIKSSON.
CLIQUER POUR DECOUVRIR LES EXTRAITS |
La poésie de Séverine Daucourt
Fridriksson est de celles qui puisant au fond de leurs « secrets possibles » sait nous en
communiquer toute l’intelligence vitale sans jamais les révéler. Cela repose
sur une jouissive et permanente façon comme elle dit de décomposer et
recomposer à volonté l’épaisse trivialité de l’existence à partir d’une rage
d’expression qui « veille à défier
l’apathie », s’efforce en permanence à « croiser éros au virage », et me paraît quant à moi avoir fait
sa devise du formidable cri lancé en son temps par Jules Laforgue :
« Non ! vaisselles
d’ici-bas. »
Pourtant le fond d’expérience dont procède le livre de Séverine
Daucourt-Fridriksson est pour une bonne partie désolant. Dégelle dont le titre bien entendu peut s’entendre comme la mise en
féminin de ce dégel qu’elle évoque dans un passage du livre (p. 123) mais comme
opération qui à son dire « prendrait
des siècles », fait plutôt à mon sens apparaître son auteur comme une
femme ayant fait l’expérience souvent cruelle de ce qu’est la dégelée de vivre. De voir ses rêves,
tous les joyaux attendus du quotidien se ternir sous ses yeux à l’épreuve
de la veulerie des hommes, de l’imposture des uns, de la démesure de l’ego des
autres, de l’avidité des familles, sans compter, c’est le mot, l’implacable
mécanique de la rentabilité bancaire... Et
ces défaites qui me semblent bien être évoquées dans le livre n’en paraissent
que plus cuisantes du fait du peu ordinaire appétit de vivre et d’être aimée de
son auteur.
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Comme rien ne remplace finalement
la rencontre directe avec le texte, je renverrai au lecteur le soin de se faire
une idée de l’inventivité et de la puissance d’expression de l’écriture de
Séverine Daucourt-Fridriksson - dont je tiens
à rappeler au passage la remarquable traduction qu’elle a donnée chez LansKine,
d’oursins et moineaux, un très beau
livre de poèmes de l’islandais Sjón (voir ci-contre) - en lisant les quelques pages d’extraits que nous donnons en tête de notre billet. Extraits qu’on ne pourra pas, j’imagine, éviter de faire entrer en résonance avec les débats présents. Pour leur conférer
des perspectives – on peut toujours rêver - un peu moins rétrécies.
vendredi 29 septembre 2017
D’UNE CERTAINE LECTURE PUBLIQUE DE POÉSIE. À PARTIR DU VOCALUSCRIT DE PATRICK BEURARD-VALDOYE.
Patrick Beurard-Valdoye lisant le Vocaluscrit , atelier Michael Woolworth, Paris, 24/11/2016 |
Lire, à destination d’un public physiquement présent devant soi, des textes élaborés dans l’intériorité d’une conscience n’entretenant parole qu’avec elle-même, des textes destinés à n’être entendus le plus souvent que dans la tête, est une opération qui ne va pas de soi et qu'il m'arrive malheureusement de trouver parfois déceptive. Si relativement peu d’études se sont penchées sur la question, nous ne manquons toutefois pas aujourd’hui d’éléments pour parfaire notre réflexion comme ceux, pour ne parler que des plus récents, que fournit l’important ouvrage de Jean-François PUFF paru en 2015 aux éditions Cécile Defaut, Dire la poésie ?, ou celui de Jan Baetens, À voix haute, sous-titré poésie et lecture publique, paru l’an passé aux Impressions Nouvelles.
Qu’apporte la présence du poète
au texte qu’il vient lire ? Quelle relation la mise en voix et en espace
qu’il en fait entretient-elle avec ce que le texte sur la page imprimé fait de
lui-même entendre ? Quelles raisons de fond président au choix par le
lecteur d’une diction expressive ou au contraire de cette diction détimbrée,
neutre, que l’héritage d’un certain textualisme a contribué à mettre à la mode
dans les cercles éclairés ? Quelle part aussi réserver au corps dans ce
dispositif qui ne se veut pas en principe spectacle mais qui conduit à être
vu ? Quelle place consentir au public et auquel s’adresser quand ce
dernier regroupe aussi bien des lecteurs avertis, des poètes ou artistes amis,
que de simples curieux peu au fait des enjeux et des pratiques qui ont cours
aujourd’hui ?
À toutes ces questions, comme à
bien d’autres encore qui touchent par exemple à la nature du lieu où le public
se voit convier, l’intéressant livre de Patrick Beurard-Valdoye, Le vocaluscrit, que les très actives éditions LansKine
viennent de publier, ne répond pas directement. Mais constitué en fait dans sa
première et plus importante section de « captures » que durant plus de vingt ans l’auteur a réalisées à
partir de notes prises en cours de séance, des très nombreuses lectures
auxquelles il lui a été donné d’assister - en partie d’ailleurs comme
organisateur - son ouvrage dresse une sorte de tableau pittoresque et assez
révélateur des diverses modalités qu’inventent ou croient inventer les
écrivains-poètes pour adresser leurs textes à l’auditoire venu les rencontrer.
D’Oskar Pastior à Claude
Royet-Journoud en passant par Bernard Heidsiek, Frank Venaille, Nathalie
Quintane, Hélène Cixous, Bernard Noël, Ulrike Draesner ou Valère Novarina,
c’est une petite quarantaine d’auteurs dont l’esprit incisif et parfois un peu
malicieux de Patrick Beurard-Valdoye croque la prestation dans une suite de
textes qui retravaillés après coup ont fini par lui apparaître comme
susceptibles de se prêter à leur tour à des performances poétiques comme celle
qu’on peut visionner sur le site de l’éditeur.
Disons-le clairement, les
lectures dont il est ici question sont pour la plupart affaire d’initiés. Ne
concernent plutôt que des auteurs qu’on appellera faute de mieux « patentés » et dont l’œuvre jouit
d’une considération d’ordre intellectuel dans les milieux un peu branchés. Les
lieux dont il est question, Musée Zadkine, Atelier Anne Slacik, Grand Palais,
Université Paris-Sorbonne, Palais de Tokyo, Institut du monde arabe, librairie
Tschann de Paris, Reid Hall Columbia University de Paris, ENSBA de Lyon … ne sont
pas de ceux par lesquels passent le mieux les nombreuses tentatives, pas
toujours des plus fructueuses d’ailleurs, visant à la démocratisation de la
parole poétique et au rapprochement des publics. Bref on ne fera pas de cet
ouvrage ce qu’il n’est et ne se veut d’ailleurs pas : un panorama complet
de la lecture publique de poésie des années 1990 à nos jours.
Vocaluscrit : Patrick Beurard-Valdoye, dans les réflexions qui
terminent son livre, propose ce néologisme pour donner nom à ce matériau
résultant du travail de retournement qu’accomplit à travers la lecture l’auteur
qui cherche à « extraire autant
qu’abstraire du dedans du corps » ce « texte
souvent conçu depuis la seule oreille interne, muet, déconnecté de la
parole », qu’il ne peut dans ces conditions livrer que transmué,
oralisé, vocalisé. Ce terme qui ressemble écrit-il à ses cousins manuscrit et tapuscrit peut sembler en effet légitime. On remarquera toutefois
que dans l’ensemble des textes que Patrick Beurard-Valdoye consacre à recréer à
sa façon la note d’ensemble des évènements de parole auxquels il a assisté, et
qu’il désigne d’ailleurs à un moment par l’expression de « photos mentales », la part qu’on
dira « vocale » ne
l’emporte qu’assez rarement finalement sur la part « visuelle ». Et ce n’est d’ailleurs pas l’un des moindres intérêts
de l’ouvrage que de pointer l’importance que revêtent à l’intérieur de ces
dispositifs de lecture ces éléments adventices
qui détournent l’attention du dit. Ainsi de la « tenue » que l’auteur aura choisie pour témoigner plus ou moins
subtilement de sa liberté par rapport aux codes vestimentaires en vigueur dans
le milieu artiste. Raffinée ou plus ou moins ostensiblement négligée, la nature
et la couleur de la panoplie d’auteur avec laquelle chacun choisit de se
présenter est bien l’un des éléments extra-vocaliques qui compte dans ce type
de rencontre, comme le sont la gestuelle, le choix et le maniement des supports
dont la lecture s’accompagne, les éclairages et la nature des fonds sur
lesquels se détache le corps assis ou debout, immobile ou remuant, du poète
lisant.
Attirée, sinon détournée, vers
nombre d’éléments ou de signes qu’on dira si l’on veut parasites, l’attention
que le public accorde à ce qui se joue dans l’espace complexe de la lecture
publique est donc assez loin de ne se concentrer que sur ce qui lui est donné à entendre.
Les textes de Patrick Beurard-Valdoye sont sur ce plan plus que révélateurs qui
ne négligent pas non plus la capacité de présence et d’interpellation de
l’espace jamais totalement neutre et étanche dans lequel chacune des
interventions dont il rend compte est plus ou moins clairement ou
ostensiblement d’ailleurs mise en scène. Sans oublier – voir la mention qu’il
fait de Jacques Roubaud auditeur - celle des diverses personnalités de premier
rang dont certains ne peuvent pas plus éviter que les personnages de
Balzac réunis au théâtre, de guetter la possible réaction.
Comme il ne manque pas
aujourd’hui par la grâce de l’hébergeur de vidéos You Tube de possibilités de visionner certaines lectures – j’en
citerai en particulier deux de tonalités tout-à-fait différentes : celle de la poète américaine Marjorie Welish et de Joseph Julien Guglielmi qui vient
malheureusement de disparaître – le lecteur se rendra par lui-même compte du
talent et de l’heureuse et réjouissante liberté avec lesquels Patrick Beurard
Valdoye est parvenu à archiver ces
moments de réalité qu’il est l’un des premiers à ma connaissance – il est vrai
après l’immense auteur d’Illusions perdues – à s’être mis en tête de capter par des moyens littéraires.
J’ajouterai cependant pour
terminer que son livre présente aussi pour le lecteur qui s’intéresse à ces
questions une seconde partie intitulée le
métier de poète qui dans la ligne d’un ouvrage de Joël Bastard dont j’ai en
son temps rendu compte, montre au public peu au fait de ces pratiques, l’envers
du décor et dénonce à l’aide d’anecdotes grinçantes, l’abîme parfois
vertigineux qui sépare le prestige au moins symbolique que confère l’invitation
faite au poète de venir en public lire ses œuvres et le peu de considération ou
la désinvolture avec lesquels les conditions qui lui sont nécessaires pour
accomplir ce travail sont parfois envisagées et traitées par des médiateurs
culturels à l’ignorance quand même un peu crasse.
Un grand merci donc aux éditions
LansKine de nous avoir adressé ce livre et de permettre à tous ceux qui
s’intéressent comme nous à la lecture publique de poésie d’étoffer leur réflexion.
mardi 4 juillet 2017
ÉDUQUER NOTRE MERVEILLEUSE CAPACITÉ DE PAROLE. LE DOSSIER 2017-2018 DU PRIX DES DÉCOUVREURS.
CLIQUER POUR ACCEDER AU DOSSIER |
Le dossier de l'édition 2017-18 est désormais accessible. Avec les extraits des divers ouvrages sélectionnés, un certain nombre de pistes pour en prolonger la lecture et un nombre important d'illustrations destinées à ouvrir également le regard en direction d'autres formes d'art.
Nous en reproduisons ici l'avant-propos.
Oui. Nous avons besoin de parole. C’est la vie. Et c’est le propre des poètes ou de façon plus générale de ceux qui entretiennent une relation dynamique au langage que de témoigner de cette nécessité profonde. Et cela n’est-il pas merveilleux de réaliser que nous sommes dans tout le vaste univers connu, la seule parmi ces millions et ces millions, ces milliards, peut-être, d’espèces vivantes, la seule à disposer de cette capacité de prolonger notre existence en paroles. Des paroles qui nous survivent. Et que pour les plus abouties d’entre elles et les plus nourrissantes, nous pouvons nous transmettre de générations en générations.
Que la poésie soit une parole avant tout liée à la vie, à cette pression que sur nous elle exerce, chacun en trouvera aujourd’hui la preuve dans cette nouvelle sélection du Prix des Découvreurs. Plus centrés sur la sphère affective, privée ou familiale, que les éditions précédentes, plus facilement abordables par de jeunes lecteurs, plus courts également, les ouvrages que nous présentons à leur active curiosité parlent, dans le langage et les formes d’aujourd’hui, de chagrin, de perte, de solitude, de vulnérabilité et de difficulté à être, mais de désirs aussi, d’amours et de tendresses, dans le monde pas toujours bien facile qui nous est donné à vivre. Un monde où la diversité des origines et des conditions marque profondément les existences. Mais où les réserves d’énergie individuelles, la créativité et la généreuse ouverture de la pensée et de la sensibilité font aussi la différence.
vendredi 30 juin 2017
SÉLECTION DU PRIX DES DÉCOUVREURS. L’IMMENSITÉ DU CIEL DE JACQUES LÈBRE.
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Nous
présentons aujourd’hui le petit dossier d’extraits du livre de Jacques Lèbre, L’Immensité du ciel, paru à la Nouvelle
Escampette.
Le lecteur
intéressé se reportera à la recension que nous en avons faite en
son temps, sur ce blog.
Le Dossier
final et complet du Prix des Découvreurs sera mis en ligne dans le courant de
la semaine prochaine. Il précisera les modalités très simples d’inscription et
apportera les précisions utiles aux professeurs qui souhaiteraient faire participer
leurs élèves à cette opération dont nous rappelons qu’elle touche chaque année
de très nombreux élèves de diverses académies. Et surtout qu’elle vise à remplir une tâche
éducative majeure : aider les jeunes des écoles à s’inventer eux-mêmes. Dans
leur temps. À se constituer finalement en Sujets
actuels de leur propre parole.
dimanche 25 juin 2017
SÉLECTION DÉCOUVREURS. LES OISEAUX FAVORABLES DE STÉPHANE BOUQUET.
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Paru en 2014 aux éditions Les Inaperçus, l’ouvrage que Stéphane
Bouquet a intitulé Les oiseaux favorables
semble avoir effectivement peu retenu l’attention du petit nombre de ceux
qui continuent à vouloir rendre la poésie qui s’écrit aujourd’hui, non
seulement un peu plus visible mais surtout plus intelligible. Et par là
nécessaire.
Pourtant ce livre ou plutôt ce livret qui selon le principe des Inaperçus qui est de faire se rencontrer deux univers et de trouver l’alchimie entre une écriture poétique et une création plastique contemporaines, dialogue avec une quinzaine de photographies du journaliste, écrivain et photographe Amaury da Cunha, peut constituer pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore une excellente porte d’entrée sinon dans l’œuvre, assez diverse, de Stéphane Bouquet, du moins dans l’esprit qui pour une grande part l’anime.
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