Il est, en matière de lecture, des stéréotypes dont la
répétition m’agace de plus en plus profondément. Celui en particulier de ces
médiateurs de culture qui s’acharnent à vouloir convaincre que lire est un
plaisir, un « délice », chose dont je ne conteste pas la possible
réalité, bien entendu, mais le peu de pertinence qu’elle possède par rapport à
la finalité qu’elle vise, à savoir : défendre, au profit des publics principalement
les plus démunis - et ces derniers ne font apparemment que s’étendre - l’idée
que la dite lecture est indispensable au développement d’une subjectivité
ouverte capable de résister aux diverses puissances d’asservissement de
l’esprit humain, que nos sociétés numériques ont considérablement renforcées.
Chacun à notre place nous sommes les acteurs de la vie littéraire de notre époque. En faisant lire, découvrir, des œuvres ignorées des circuits médiatiques, ne représentant qu’une part ridicule des échanges économiques, nous manifestons notre volonté de ne pas nous voir dicter nos goûts, nos pensées, nos vies, par les puissances matérielles qui tendent à régir le plus grand nombre. Et nous contribuons à maintenir vivante une littérature qui autrement manquera à tous demain.
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mercredi 5 septembre 2018
jeudi 31 mai 2018
SI RIEN MAJUSCULE N’ÉCARTE. SUR LA RENCONTRE EN MILIEU SCOLAIRE.
Que nous ayons à renfermer dans des petites
boîtes
(Ou dans des grandes),
Et que nous ayons à conserver dans (de) l’huile rance
Comme les momies d’Égypte.
[Il], ne nous a point donné des
conserves de paroles
A garder,
Mais il nous a donné des paroles vivantes
A nourrir.
[…]
Les paroles de (la) vie, les paroles vivantes ne peuvent
se conserver que vivantes,
Nourries vivantes,
Nourries, portées, chauffées, chaudes dans un cœur
vivant.
Nullement conservées moisies dans des petites boîtes
en bois ou en carton. »
Charles
Péguy
Le porche du mystère de la deuxième vertu
Bien souvent j’aurais, dans ce
blog comme dans celui dont il a pris la relève, fait l’éloge de la rencontre.
Celle que nous promouvons et encadrons. Avec des auteurs et des êtres vivants.
Dans des écoles animées par un réel souci d’ouverture à l’art perçu comme un
vecteur privilégié d’élargissement et d’approfondissement d’être. Et cela ne
m’a jamais empêché d’en constater le caractère illusoire dès lors qu’il ne
s’agissait, en matière de poésie contemporaine, que de rencontres ponctuelles.
Sans précédent. Comme sans suites. Non portées. Non vécues.
dimanche 19 novembre 2017
POUVOIRS DE LA FICTION. À PROPOS DE LA MAISON ÉTERNELLE DE YURI SLEZKINE.
Il est des rêves collectifs dont
nous avons malheureusement appris à trop bien nous réveiller. Ainsi de celui que
nourrit au siècle dernier sur le territoire de l’ancienne Russie toute une
génération d’intraitables révolutionnaires qui tenta d’y installer pour
l’éternité une société sans classe et sans exploitation par la mise en place
d’un régime qui ne se maintint finalement pas plus que le temps d’une courte
vie humaine.
Sûrement que ce dernier dont on
sait les souffrances et les atrocités dont il fut responsable ne doit pas être
regretté. Mais confronté aujourd’hui à l’affirmation tellement écoeurante des
inégalités que les sociétés dîtes libérales ont laissé s’établir quand elles ne
les promeuvent pas, entre les fameux premiers
de cordée qui ne tirent à eux que les bénéfices du travail des êtres qu’ils
exploitent et la masse immense de ceux qui, de multiples façons, voient leur
vie ou une partie de leur vie, sacrifiée à ce système, pour ne rien dire au
passage de ce qu’il en coûte pour la survie de la planète, oui, confronté à
cela, on comprendrait qu’on en vienne à regretter ces visions d’avenir radieux
et que sous l’apparente résignation des comportements et malgré les efforts
d’endormissement des pouvoirs de tous ordres, germent à nouveau, dans nos coins
de cerveau toujours disponibles, des projets de « révolution »,
mûrissent dans nos cœurs des désirs de révolte, s’expriment un peu partout des
impatiences et des colères qui pourraient tout emporter demain.
C’est donc avec des préventions
moindres à l’égard de la tentation révolutionnaire et de ses effrayantes radicalités
que je me suis lancé ces derniers jours dans la lecture du monumental ouvrage
composé par l’historien américain Yuri Slezkine qui sous couvert de nous
raconter un peu à la manière de la Vie
mode d’emploi de Perec, l’histoire des premiers habitants de la fameuse Maison du Gouvernement construite à la
fin des années 20, face au Kremlin, pour
abriter quelques centaines de privilégiés du régime, tente d’analyser les
ressorts fondamentaux de la psyché bolchevique.
« Toute ressemblance
avec des personnages de fiction, vivants ou morts, serait pure coïncidence »
samedi 11 novembre 2017
POÉSIE ET NOUVELLES TECHNOLOGIES À L’ÉCOLE. À PROPOS DU PROJET I-VOIX DU LYCÉE DE L’IROISE À BREST.
ELEVES DU LYCEE DE L'IROISE DANS UNE LIBRAIRIE DE BREST |
Comment faciliter l’accès des
jeunes et de leurs maîtres à cette poésie actuelle que le peu d’intérêt que lui
manifeste une société avant tout préoccupée de vitesse, d’images, de pensée
simple et de rentabilité grossière, a rendu presque invisible ; comment revivifier
l’approche que l’institution scolaire, toujours particulièrement frileuse sur
ce point, propose de la poésie, voilà, comme comme on sait, quelques-unes des
préoccupations de notre association qui peut
s’enorgueillir de faire découvrir chaque année des ouvrages d’auteurs vivants à
des centaines et des centaines de jeunes répartis dans toute la France, d’avoir depuis sa création en 1998, fait rentrer
dans les CDI des milliers
d’ouvrages de poésie contemporaine et fait découvrir plusieurs dizaines
de petits éditeurs absents des
librairies comme des bibliothèques publiques.
mardi 4 juillet 2017
ÉDUQUER NOTRE MERVEILLEUSE CAPACITÉ DE PAROLE. LE DOSSIER 2017-2018 DU PRIX DES DÉCOUVREURS.
CLIQUER POUR ACCEDER AU DOSSIER |
Le dossier de l'édition 2017-18 est désormais accessible. Avec les extraits des divers ouvrages sélectionnés, un certain nombre de pistes pour en prolonger la lecture et un nombre important d'illustrations destinées à ouvrir également le regard en direction d'autres formes d'art.
Nous en reproduisons ici l'avant-propos.
Oui. Nous avons besoin de parole. C’est la vie. Et c’est le propre des poètes ou de façon plus générale de ceux qui entretiennent une relation dynamique au langage que de témoigner de cette nécessité profonde. Et cela n’est-il pas merveilleux de réaliser que nous sommes dans tout le vaste univers connu, la seule parmi ces millions et ces millions, ces milliards, peut-être, d’espèces vivantes, la seule à disposer de cette capacité de prolonger notre existence en paroles. Des paroles qui nous survivent. Et que pour les plus abouties d’entre elles et les plus nourrissantes, nous pouvons nous transmettre de générations en générations.
Que la poésie soit une parole avant tout liée à la vie, à cette pression que sur nous elle exerce, chacun en trouvera aujourd’hui la preuve dans cette nouvelle sélection du Prix des Découvreurs. Plus centrés sur la sphère affective, privée ou familiale, que les éditions précédentes, plus facilement abordables par de jeunes lecteurs, plus courts également, les ouvrages que nous présentons à leur active curiosité parlent, dans le langage et les formes d’aujourd’hui, de chagrin, de perte, de solitude, de vulnérabilité et de difficulté à être, mais de désirs aussi, d’amours et de tendresses, dans le monde pas toujours bien facile qui nous est donné à vivre. Un monde où la diversité des origines et des conditions marque profondément les existences. Mais où les réserves d’énergie individuelles, la créativité et la généreuse ouverture de la pensée et de la sensibilité font aussi la différence.
dimanche 5 février 2017
POUR UNE HYGIÈNE DE L’ESPRIT. UNE PENSÉE SANS ABRI. CHRISTIANE VESCHAMBRE AVEC LES LYCÉENS DE BOULOGNE ET CALAIS.
Christiane Veschambre au lycée Branly de Boulogne-sur-Mer |
L’école peut-elle se limiter aujourd’hui à des savoirs arrêtés ? À
la transmission de modèles ? De listes. De connaissances ou de dogmes à
réciter. Non. Et de moins en moins non ! À l’heure où la menace de l’enfermement
des esprits dans des systèmes de croyances visant à nier le droit de chacun à
sa propre différence alerte à juste titre sur ce que nous voulons sauver de nos
démocraties, il est bon de rappeler que la pensée véritable, celle qui fait
avancer, est toujours sans abri.
mardi 31 janvier 2017
HERBES. CONJOINDRE À NOUVEAU NATURE ET CULTURE ! AUGUSTIN BERQUE.
Herbes sur les bords du lac de Trakkai |
On le
sait. Durant des lustres, notre enseignement s'est complu à organiser son approche de la littérature et
principalement de la poésie autour de grands thèmes tels l'amour, la rencontre,
l'engagement, la femme et plus largement encore celui de la nature !!! Et c'est
de cette passion immodérée pour les concepts vagues et leur illustration
caricaturale qu'ont fini sans doute par apparaître autour de nous des générations
d'esprits manipulateurs et bavards davantage occupés de l'effet de leurs
paroles que de la relation qu'elles devraient entretenir avec ce que nous
appellerons, pour aller vite, le réel foisonnant qui non pas nous entoure mais
de fait, en partie, nous construit.
J'aurais aimé ici évoquer chacune des 12 contributions
qui à travers le regard du paysagiste, du critique d'art, du philosophe, du
géographe, de l'orientaliste, du jardinier, du botaniste, de l'écrivain, du
musicologue …. renseignent l'inépuisable réalité de ce qui se trouve recouvert
par l'idée en apparence si transparente et docile de l'herbe. La profondeur et
l'intérêt si divers de la plupart de ces textes font que chacun comprendra
qu'il fera mieux d'aller y voir de lui-même. Je m'attarderai simplement dans ce
billet sur la proposition de l'auteur de Poétique de la Terre. Histoire naturelle et histoire humaine, Augustin Berque, qui, partant de l'expérience du
philosophe japonais Watsuji Tetsurô (1889-1960)présente à mes yeux le grand
mérite non seulement de souligner, ce qu'on sait bien, à savoir, le relativité
des cultures, mais celui surtout de nous entraîner à partir de là, à repenser
notre relation à la nature qu'il s'agit de retrouver non par un retour à la
sauvagerie primitive mais tout à rebours par un lent travail de réciproque
reconstruction.
Non,
pour Augustin Berque, l'homme ne se conçoit pas comme individu occupant une
place centrale dans un environnement conçu comme système interrelationnel
d'objets qui lui resteraient extérieurs, mais comme être fondamentalement,
constitutivement, engagé dans un milieu qu'il crée à travers les innombrables
relations qu'il entretient, tant sur le plan physique que symbolique avec le
monde. Ainsi rien ne serait plus faux qu'imaginer, pour parodier la trop
célèbre formule de Gertrude Stein, que l'herbe est de l'herbe est de l'herbe et
serait partout toujours de l'herbe.
Comme le découvrit Watsuji
Tetsurô lorsqu'il aborda - au printemps ! - la côte de Sicile, l'herbe d'Europe
n'a pas comme dans son propre pays soumis, lui au régime plus violent des
moussons, ce caractère de brousse impénétrable qui là-bas la fait figurer en
bonne place parmi les symboles du wilderness,
c'est-à-dire de la nature sauvage. Elle est amène et souple et se laisse
aisément dominer. Induisant un rapport particulier de la culture à la nature.
Rapport dont la tondeuse à gazon dont nous faisons tant de bruyants et
ravageurs usages dans nos jardins comme aux bords des chemins, me semble
toujours le très affligeant emblème.
De
fait, en faisant du cosmos un univers-objet et en soumettant le vivant à notre
mécanique, la science occidentale nous a coupés du monde. Et nous fait vivre
chaque jour un peu plus dans un monde de signes et d'abstractions qui certes,
nous confère une impression accrue de puissance, mais nous a fait perdre la
multiplicité des liens sensibles qui nous attachaient à l'ensemble des réalités
élémentaires avec lesquelles s'est tissé au cours des millénaires le milieu qui
constitue notre humaine et flexible habitation. Cela, on commence à s'en rendre
peut-être un peu tardivement compte, n'est pas sans affecter tant l'équilibre
psychique des individus que les grands équilibres naturels dont dépend la
survie plus ou moins harmonieuse des sociétés.
C'est
pour cela qu'à la manière des calligraphes japonais, qui distinguent 3 degrés
successifs d'écriture, il nous appartient sans doute, conclut Berque, après
avoir appris à écrire le monde en lui imposant la régularité (zhen) de nos lois, de retrouver une forme
d'écriture moins entravée, plus allante (xing)
puis de passer à une forme cursive, justement appelée "herbue" (cao),
par quoi nous parviendrons peut-être enfin à conjoindre à nouveau cette double
dimension de l'être et bien évidemment du monde que sont nature et culture.
Non à
partir des idées pures. Mais des réalités sensibles. De l'herbe. Évidemment.
mardi 3 janvier 2017
EN 2017. L’ÉDUCATION ! POUR LA CONSTRUCTION D’UN AVENIR MEILLEUR, DURABLE ET FRATERNEL.
Tout sépare cette allégorie du feu peinte en 1566 par Arcimboldo
qui célèbre la puissance guerrière de l’Empereur Maximilien II de Habsbourg, à l’époque en
lutte contre Soliman le Magnifique, du tableau qu’à 14 ans, en pleine guerre
mondiale, Giacometti intitula La Paix
et qu'on peut découvrir à l’Albertina de Vienne.
Que les enfants qui tiennent ici
entre leurs mains, non une colombe blanche mais un merle sans doute - ce qui me fait
personnellement penser à l’admirable texte de Fabienne Raphoz sur le merle de
son jardin (dont on trouvera un extrait page 30 de notre Dossier Découvreurs 2013) - soient ce que nous avons de plus précieux et que l’avenir que nous leur
construisons constitue l’interrogation fondamentale qui devrait nous habiter
tous, voilà ce qui pour moi ne souffre plus discussion.
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