Habitation Isle Jean Charles |
Il faut s’exercer au lexique de l’écart, de
l’éloignement, de la dispersion. Pointer du doigt les formes de l’effacement.
L’abandon et l’abolition s’ajoutent à la liste. On lutte contre
l’anéantissement, c’est toujours ce que l’on entend au sujet des Indiens. »
Je ne me lancerai pas ici dans
une analyse du beau livre que Frank Smith
a consacré au sort de cette terre de Louisiane aujourd’hui noyée dans l’éparpillement,
à laquelle, malgré ouragans et cyclones, malgré les féroces dégâts occasionnés
par l’exploitation pétrolière, continuent de s’accrocher quelques descendants
d’Indiens Biloxi-Chitazmacha-Choctaw qui semblent y avoir mené, dans le vieux temps, c’est-à-dire au
moins jusqu’au milieu du siècle dernier, une vie relativement protégée. Je ne
ferais assurément pas mieux que l’excellent compte-rendu de Jean-Philippe
Cazier, intitulé Poétique de la circulation, qu’on pourra lire en accès libre sur MEDIAPART.
Je ne suis pas familier de
l’œuvre de Frank Smith et suis même généralement sceptique sur l’intérêt, pour
moi, des livres que défendent a priori
quelques-uns de ces artistes intellectuels proclamés d’avant-garde qui semblent
lui vouer une certaine admiration. L’agacement que provoquent chez moi la
multiplication, dans la création contemporaine, des listes, son refus assez
systématique de l’élaboration rythmique et syntaxique, la platitude assez
générale de la langue et ses copiés-collés de la soi-disant réalité, aurait dû
même me détourner de m’intéresser à un ouvrage où ces choses, à première vue,
se découvrent.
Me retiennent pourtant et
fortement dans ce livre, non seulement le tableau déprimant de notre monde de
plus en plus abandonné aux puissances technologiques, matérielles et
financières qui le défigurent et en réduisent toujours davantage la belle et
giboyeuse diversité humaine et naturelle, non seulement encore le dispositif
ouvert choisi par Frank Smith pour rendre compte de son empathique relation
avec la micro-nation indienne par laquelle il est parvenu à se faire accueillir, mais tout particulièrement la disposition d’un authentique écrivain qui dans ce
livre semble presque totalement renoncer à cette position d’autorité que lui confère en principe sa
qualité d’auteur.
Un délestage de soi-même